Pas forcément très connu en France, le pianiste et compositeur cubain Manuel Valera a pourtant déjà largement dépassé la dizaine d’albums sous son nom sans compter ses participations en tant que sideman et vient augmenter ici le chiffre avec la sortie toute récente de « Vessel » à la tête d’un quintet vrombissant.
L’album est constitué en majeure partie de compositions personnelles du leader, à l’exception de « Chance » dû à la signature du pianiste Kenny Kirkland auquel Valera dédie d’ailleurs son premier morceau « Blues for Kenny K ».
Dès l’entame de la deuxième plage (First Day), on se prend à des réminiscences sonores des Messengers de Blakey ou encore du Jazztet de Benny Golson, avant d’enchainer sur un « Pablo » au rythme plus lent qui permet au pianiste de délivrer toute une richesse harmonique bien mise en valeur par l’étincelance des cuivres qui enveloppent le chant de l’ensemble.
Des accords parfois sans raccord, des croches qui s’accrochent, un jeu de doigts ludique parfois mathématique et la présence de souffleurs très inspirés, caressants et véloces à la fois ; bref une savante combinaison d’entrelacs ajustés au cordeau, tantôt susurrés tantôt explosifs. Munificence des sons et prodigalité de l’entente signent la cohésion de ce quintet.
Au-delà de la qualité et de l’inventivité du jeu pianistique du leader (Garzonian), il faut aussi réserver une mention spéciale aux deux souffleurs de service dont les volutes enfiévrées donnent corps à un acier volubile et tranchant, à l’image d’un Alex Norris au bugle très en turnarounds bien tournés sur « Alma ».
Un mot aussi de la rythmique impeccable, absolument présente qui assure un tapis de tempo qu’Hamish Smith, le contrebassiste, régule avec une ostentation jubilatoire (Crisis).
Des compositions très innovantes à l’écoute desquelles on se surprend toutefois à retrouver comme un chemin connu, comme une exploration nouvelle qui aurait sa part de charme désuet.
Présenté parfois comme un jazz d’accès difficile, cette production relève surtout et avant tout d’une écriture particulièrement recherchée accolée à une interprétation dont il ne faut chercher nul défaut. Bref, un véritable exercice de style qui tient aussi bien de la virtuosité technique des instrumentistes que de l’esthétique qui se dégage de l’ensemble. En tout cas un jazz d’une très grande valeur et dont l’écriture laisse le champ libre à une forme d’improvisation d’une facture qui classe à mon sens ce quintet en haut de la pile de ce qui se fait ces derniers temps en la matière.
Ne passez surtout pas votre chemin.
Personnel :
Manuel Valera – piano
Mark Whitfield Jr. – batterie
John Ellis – saxophone ténor, clarinette basse, flute
Alex Norris – trompette, bugle
Hamish Smith – contrebasse
Vessel est sorti chez Criss Cross Jazz le 30 juin 2023.
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