(*) article paru dans Couleurs Jazz Magazine, sur iPad en 2013, à l’occasion des 80 ans de Manu Dibango, lors d’un concert à l’Hôtel de Ville de Paris.
Pour célébrer les 80 ans de ce saxophoniste d’exception, l’Hôtel de Ville de Paris recevait Manu Dibango et le Soul Makossa Gang, pour un concert événement dans la Salle des Fêtes. Un honneur pour celui qui a ouvert les voies entre le jazz et les musiques du continent africain. Pour Cheick Tidiane Seick, invité à le rejoindre sur scène, Manu Dibango, « c’est notre Mandiba à nous, Mandiba étant le surnom de Mandela, -qui provient du nom de son clan tribal, Madiba- et la quintessence de la musique africaine, le porte-parole culturel de ce continent ».
Un concert dans la Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville en impose par le décor seul. Ors et sculptures des plafonds, peintures murales. Un univers plutôt formel pour celui qui a connu l’esprit du jazz à Saint-Germain-des-Prés à l’époque des Charlie Parker, John Coltrane. «On vit sur l’esprit de gens qui ne sont plus là et on perpétue, mais les amateurs sont des survivants. À l’époque on fumait dans les clubs, quand tu rentrais, tu étais pris, il y avait les gens qui dansaient et tu ne pouvais pas ne prendre que deux verres parce que la police allait te contrôler à la sortie.» Une simple constatation de l’évolution naturelle du jazz et des choses.
Celui qui a ouvert les voies…
Dans le studio d’enregistrement de son émission sur Africa N°1 qu’il anime tous les dimanches de 10h à 12h, il retrouve Robert Brazza (sur les ondes “Robert Tito“) qui le salue d’un «Bonjour papa». Le sourire de Dibango dit toute la complicité entre les deux hommes : «c’est mon partenaire, on s’adore. Je suis le papa de lui, de tout ça, à l’africaine. Il ne peut pas m’appeler grand-frère, c’est un signe de respect». Mémoire de la musique de son continent d’origine, le saxophoniste qui a joué avec les plus grands dans le monde entier, évoque Nino Ferrer, Francis Bebey, autre artiste camerounais célèbre, et entraîne les auditeurs sur tous les territoires où il s’est aventuré, partageant ceux d’aujourd’hui.
Le pionnier de la musique moderne africaine
C’est Cheick Tidiane Seck qui rapporte le procès remporté récemment contre les maisons de disque pour le phrasé de «Soul Makossa» (1972), utilisé par Michaël Jackson pour le titre «Wanna be starting somethin’» (album Thriller) et Rihanna pour le single «Don’t stop the music». Pour le créateur de l’incontournable «New Bell», celui qui a ouvert les portes du jazz et qui plane sur la musique africaine, la justice pourrait presque sembler tardive. Mais le temps n’a aucune importance. Il prépare un album consacré à de belles mélodies, avec des voix, «Je veux faire des disques que j’ai envie d’entendre», et vient d’enregistrer un album de ballades style Memphis, avec des reprises d’Otis Redding, Joe Dassin…
Créateur de l’incontournable «New Bell»
Face au parterre assemblé devant lui, Manu Dibango rappelle qu’il a connu les indépendances, fait une allusion souriante aux pirogues d’une époque et aux plafonds dorés du jour, remercie pour le plaisir et l’honneur d’être là : «Si Joséphine Baker dans sa célèbre chanson avait deux amours “mon pays et Paris“, moi ce serait plutôt mon pays et la France». Un signe de tête à Jacques Conti-Bilong (batterie) et il attaque au vibraphone, une décision prise pour l’acoustique et l’harmonisation du lieu. «Dans cette salle-là, prévoyait-il, il faut faire la fête, parce que c’est une longue histoire. Et si on ne fait pas la fête-là…». Discrètement les mots y prennent tout leur sens.
la Rumba congolaise de Tino Baroza
Pour la Rumba congolaise de Tino Baroza, certains spectateurs désertent les sièges, remplissent les allées. Dibango rit, comme Tidiane Seck à l’orgue, quand il entame le hit et premier titre de son album Guerrier. “Ce qui compte dans le jazz, c’est l’improvisation, mais surtout que ce soit de la musique“. Le pionnier de la musique moderne africaine passe d’un instrument à l’autre, vibraphone, clavier, saxophone. Percussions, guitare, basse, saxo, tour à tour ses musiciens explosent les rythmes avec lui. Un dernier tour, seul au clavier avec Céline Cheynut, il reprend Malaika, le célèbre standard africain popularisé par la mamma Miriam Makeba. Sur le tapis rouge, les esprits s’envolent.
Interprètes :
Patrick Marie-Magdelaine (guitare),
Julien Agazar (claviers),
Jonathan Handesman (sax/flûte),
Isabel Gonzalez et Céline Cheynut (voix),
Raymond Doumbe (basse),
Jacques Conti-Bilong (batterie),
Guy Nwogang (percussions),
Cheick Tidiane Seck (orgue).
©Photos Jeremy Charbaut pour Couleurs Jazz
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