Costume gris, chemise blanche, chapeau à la Blues Brother, sur la scène du théâtre de l’Odéon, il monte sur une estrade pour tendre les bras en V vers le ciel et se faire acclamer par le public, avant de saluer et rejoindre l’orgue Hammond qui l’attend. La main à peine posée sur le clavier, sourire enjôleur, il attaque le rythme à fond. Lucky Peterson est une star du blues depuis l’âge de 5 ans.
“I’m blues but I’m not so blues. I’m somewhere in between,”
dit-il d’entrée. Effectivement, il a été conçu dans le blues. Né à Buffalo dans l’État de New York où son père James Peterson possède un club de blues & jazz réputé, il y voit défiler tous ceux dont le nom compte dans les années 60’ : Muddy Waters, Buddy Guy, Koko Taylor et bien d’autres. En l’occurrence, le petit Peterson qui joue de l’orgue comme personne et surprend le producteur et arrangeur Willie Dixon, lui-même musicien de légende, ne tarde pas à rejoindre cette élite du blues. Sur les plateaux des shows à l’américaine où il surgit dès 1969 avec un premier album (best-seller qui ne lui rapportera pas un dollar), le titre résonne comme une prédiction « Our future : 5 year old Lucky Peterson ».
Le blues est ma fondation
D’autres enfants ont connu la célébrité aussi tôt. Dans le blues, il est le seul. Le regard du musicien, assez touchant, n’a rien perdu de l’enfance et son dernier album « The son of a bluesman », est une forme d’hommage à son père disparu en 2010.
« Le blues est ma fondation même s’il y a beaucoup d’autres musiques en moi. Pourtant c’est important de reconnaître le blues aujourd’hui et de dire au monde qu’il est toujours là, parce qu’il est l’inspiration, avec le gospel, de toutes ces musiques, le jazz, le rock, la pop.» Sur scène il se joue du micro, voix of & on. Les habitués connaissent cette manière de rappeler la source, le chant qu’on entend avec ou sans ampli, la voix rauque qui prend aux tripes. Une autre façon de capter l’écoute. « Would you help me ? ». Le théâtre lève un bras, tape des mains, rit. Il amuse, plaît, trouble en terminant dans un souffle. Depuis qu’il est né et bien avant, cette musique le tient. Il crie : « She didn’t let me go ». Une femme ou le blues ? Debout entre les claviers, il confie brusquement au public qu’il se souvient avoir toujours joué. Tourné vers la coulisse, la musique suspendue à son geste, il demande « Sister there, are you all right ? ». Sa femme et choriste Tamara Stovall Peterson n’est pas loin.
La voix rauque qui prend aux tripes
Autre règle du blues, la guitare. La sienne est une Gibson ES 335. Laqué rouge, elle claque sur son costume et au milieu du public qu’il oblige à se lever pour jouer au milieu des spectateurs, entre les rangées.
La Sienne est une Gibson ES 335
En équilibre sur le dossier d’un fauteuil, dos à la scène, il chante sans micro et sans vergogne. Le fils du bluesman sait chauffer la salle. Après Blues in my blood, il remonte sur scène et reprend au clavier le titre de Johnny Nash I can see clearly now. Rien à dire, ça déménage ! Le temps d’une pitrerie, lunettes noires sur le nez, il imite Stevie Wonder et le théâtre rit. Puis il se met à parler. « I’m not Lucky, I’m blessed » (je n’ai pas de la chance, je suis béni). Pendant que le rythme a repris doucement et que les choristes assurent de temps en temps le refrain, I’m still here, l’enfant raconte le concert d’Ahmad Jamal auquel il a participé la veille, le public debout qui a chanté « Joyeux anniversaire ».
Le fils du bluesman sait chauffer la salle
L’amour, la fraternité, l’addiction à l’alcool, la tristesse, le verbe « blues » existe dans la voix de Peterson, même quand il ne chante pas. « I’ve been in a lot of bad places… I still have my heart, my soul, my shoes… God covered us. Can we feel what we are talking about? … It’s not a mistake that you’re still here, there’s something left to do for you, with you. » Lucky Peterson a traversé une période sombre, qu’il ne dissimule pas. Pendant tout ce temps, le silence semblait régner, celui d’une certaine musique, mais le blues, c’est un nombre de mesures au bout desquelles l’auditeur ne sait même pas qu’il attend la reprise, ni surtout qu’elle était prévue. Et que soudain elle est là.
©Photos Mart Sepp
This text was previously published in Couleurs jazz Magazine on iPad.
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