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Le 20 septembre 2019 au Triton, une jolie salle de spectacle des Lilas, attenante à un bar restaurant à l’ambiance décontractée, le groupe Slow de Yoann Loustalot (trompette, bugle) Julien Touery (piano), Eric Surmenian (contrebasse), et Laurent Paris (batterie, percussions) nous offre une prestation d’ensemble intemporelle et œcuménique, baignée d’une douce lumière hivernale d’autant plus savoureuse qu’elle fait suite à un été marqué par des chaleurs caniculaires (« notre façon à nous de lutter contre le réchauffement de la planète », dira pince sans rire le trompettiste).

On sait le soufflant porté sur les ambiances ouatées, vaporeuses et poétiques. Son partenariat compositionnel avec Julien Touery, entendu dans le quartet d’Emile Parisien, renforce encore cette disposition d’esprit, rendant possible un concept à part entière sur et autour de la notion de lenteur. En un monde où tout va vite, et où la vitesse est même considérée comme une valeur d’efficacité, le combo nous propose de ralentir le tempo pour renouer avec des vertus contemplatives synonymes de réconciliation avec l’environnement, la nature ; un propos dont la positivité se teinte d’une certaine inquiétude écologique, matière première de plusieurs titres du superbe album éponyme paru chez Bruit Chic il y a quelques mois.

D’emblée, la tonalité acoustique d’une musique éthérée et atmosphérique saisit l’assistance, dont l’écoute active est requise pour apprécier toute la musicalité du propos, dénué des habituels artifices de scène fédérateurs censés garantir l’adhésion du public. Il y a à cet égard chez Loustalot une grande cohérence, dont les fils invisibles tapissent ses différents essais discographiques.

On se souvient de ses Pièces en Forme de Flocons conçues naguère en compagnie de François Chesnel et Antoine Paganotti, qui évoquaient alors sans les citer les compositions d’Erik Satie. En distinguant le mot et la chose comme l’aurait fait Francis Ponge, slow peut se muer en snow ou en show, et rendre compte du fait que le live offre une dimension supplémentaire au concept dans son défilement périlinéaire.

Et, de fait, les titres parlent pour eux-mêmes, faisant défiler des paysages émotionnels multiples tout au long des variations savantes dont se fendent des musiciens qui excellent chacun dans leur partie.

Comme pour prendre le contrepied des modes consuméristes et estivalières, les références aux quatre points cardinaux (Vers l’Ouest, Vers le Nord) se combinent avec de magnifiques lavis septentrionaux dominés par le froid et les rigueurs climatiques (Fjords, Winter). L’espace et le temps s’entremêlent pour danser une sarabande poétique et méditative intense (Sur le Tard, Saoul les Nuages) comme celle évoquée sur le mode ludique par le film Local Hero qui confère à la lumière du nord un aspect mythique.

Il y a une dimension élémentale dans cette musique ; prendre son temps devient synonyme, non d’approfondissement au sens d’un effort, mais d’un lâcher prise au profit de retrouvailles avec notre nature profonde, à l’instar de celles revendiquées par des auteurs comme Alan Watts.

On reste confondu par la poésie déployée en cette soirée, justement concentrée en un seul set (une interruption aurait sans nul doute eu pour conséquence d’amoindrir l’enchantement suscité par l’enchainement des titres de l’album).

L’apport d’Eric Surmenian et Laurent Paris, eux aussi compositeurs, est incommensurable. L’atmosphère très industrielle de Metal Contact permet au batteur une prestation bruitiste toute de raclements, frottements, sifflements stridents et percussions, absolument unique car totalement intégrée au propos, et génératrice d’un mouvement statique qui donne envie de se lever pour accompagner son développement.

Les notes longues, tenues, le jeu d’archet qui caractérisent le jeu d’Eric Surmenian culminent dans les atmosphères empreintes de gravité associées aux points topographiques fondamentaux, comme celui décrit dans Le Passage du Nord Ouest, de Michel Serres.

Le piano préparé de Julien Touery fournit une occurrence par trop évidente de filiation avec l’art contemporain, bien que cette musique soit en elle-même assez élaborée pour se passer de toute référence. La seule façon dont Yoann Loustalot installe un motif mélodique en se jouant de la tonalité serait plutôt réminiscente des tentatives tardives de Prokofiev, voire du mode hongrois sans résolution de Bartok (moyen judicieux d’évoquer le noroît des circumnavigateurs), tandis que la façon dont Julien Touery rappelle en leitmotiv le thème, après l’avoir joué à l’unisson avec le cuivre, en dit long sur les capacités de renouvellement du collectif (la tabula rasa des anciens), qui met à profit la diversité de ses origines géographiques pour affirmer une identité qui ressort surtout de l’esprit du jazz, quelles que soient les connaissances classiques préalables mises à profit par les musiciens.

Dehors, la nuit permet de renouer en douceur avec l’énergie de la ville, et l’on se sent tout à la fois éveillé et comme plus libre de ses mouvements grâce à l’échange émotionnel primordial qui vient d’avoir lieu.

Un moment hors du commun, rare et précieux comme une aurore boréale.

©Photos Jean-Pierre Alenda.

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