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En dehors de la route bien tracée des festivals d’été qui vous emmènent sans doute de Vienne à Marciac en passant par Juan-les-Pins, il existe non loin de la frontière bavaroise un charmant village de Haute-Autriche du nom de Diersbach.

Dans ce village peuplé d’irréductibles et hautement sympathiques Autrichiens, une des nombreuses fermes qui parsèment les environs abrite depuis 40 ans déjà le festival INNtöne Jazz. Aussi nommé ‘Jazz am Bauernhof’, entendez Jazz à la ferme, le festival se déroule sur un espace en plein air situé juste à côté des champs de maïs et une grange accueillant les concerts secondaires. Ajoutez à cela le St Pigs Pub, une salle rustique idéale pour terminer la soirée une chope de bière à la main et vous aurez compris qu’ici, la musique coule à flot comme la cervoise. D’ailleurs, le principe des concerts sur les deux scènes alternatives est de permettre à des groupes moins connus de se produire jusqu’à cinq fois tout au long du weekend afin de garantir au public une continuité musicale entre les concerts principaux.

Pour son 40e anniversaire du 18 au 20 juillet, le festival nous a offert un programme comme toujours assez éclectique orchestré par le maître des lieux, le tromboniste Paul Zauner. Il faut dire que Paul a de bonnes oreilles, notamment lorsqu’il s’agit de faire découvrir des vocalistes encore méconnus.

Bien avant son concert à la Cigale du 2 juin 2012, le célèbre Gregory Porter faisait ses premiers pas européens au Festival INNtöne en 2010. C’est dire si l’on peut faire confiance à l’organisateur dans ses choix musicaux et les aficionados de jazz, chaque année un peu plus nombreux à camper sur place, ne le démentiront pas.

En fait, assister aux plus de vingt concerts étalés sur les trois jours, c’est un peu comme s’assoir à la table d’un chef étoilé en se laissant séduire par une succession de plats aussi succulents les uns que les autres. Au menu cette année, le jazz anglais occupait une place de choix.

Entre le poète Anthony Joseph, lauréat en 2023 du prestigieux prix T.S. Eliot pour son livre Sonnets for Albert, clôturant en beauté le festival dimanche soir et le magnifique trio réunissant vendredi soir la vocaliste Heidi Vogel, le pianiste Liam Noble et le contrebassiste Tchèque Jiri Slavik, le festival a également servi de terrain de jeux à six jeunes musiciens basés à Londres. Leur projet baptisé Vortex London Whirlpool en référence au Vortex Jazz club, haut lieu du jazz du nord de Londres, et le mythique album Whirlpool du regretté John Taylor, était tout sauf conventionnel.

Photo ©Dieter Wagenbichler

Débutant le vendredi dans la grange (Scheunenbühne) avec une formule à géométrie variable, le groupe devait dès le samedi trouver ses marques en tant que collectif bien soudé dans lequel se détachent particulièrement les fantaisies  vocales de la Suédoise Rebecka Edlund et le phrasé du saxophoniste Kasper Rietkerk. Ce dernier vient justement de publier un excellent album, The Happy Worrier incluant notamment dans son line-up le guitariste John Parricelli. Son style qui n’est pas sans rappeler un certain John Garbarek fait de lui l’un des saxophonistes européens dont la carrière est à suivre attentivement.

Même si comme dans tant d’autres festivals de jazz, la moyenne d’âge du public est indexée sur l’âge de la retraite, il en va heureusement tout autrement sur scène. Présent pour la cinquième année consécutive, le groupe Jumping Jungle composé de huit jeunes Autrichiens a fait cette année un grand bond en avant.

Ces jeunes aujourd’hui âgés entre 12 et 15 ans vivent le jazz intensément, notamment Xaver Plankensteiner, un petit génie jonglant sans cesse entre ses différents claviers à la manière de Stevie Wonder dont le répertoire est largement utilisé. Sa sœur, Mena, flûtiste, saxophoniste mais aussi vocaliste est l’âme du groupe qui comme le Vortex London Whirlpool, s’est produit pas moins de cinq fois au cours du weekend, les deux groupes se rejoignant d’ailleurs sur scène pour leur dernière performance.

Avant cette finale, Jumping Jungle invita sur scène une jeune flûtiste à peine âgée de 9 ans, ma fille Valérie Dorban, pour une reprise d’Alligator Boogaloo  ainsi que le vocaliste Blair Clark, heureux de chanter Superstition en duo avec Mena Plankensteiner. Il est vrai qu’en tant que membre du Powerhouse Band qui avait clôturé la soirée du samedi sous un ciel étoilé, Blair Clark est un habitué du répertoire funk et R&B, affectionnant particulièrement Al Jarreau auquel il rendit hommage avec un thème original.

©Patrick-Spanko-www.skjazz.sk

Même si la perfide Albion occupait une place prépondérante dans le casting, le jazz français avait droit au chapitre, notamment Yaron Herman, un habitué du festival, revenant cette année pour présenter son tout nouvel album, Radio Paradise, un projet en quartet dans le lequel brille notamment Maria Grand, une saxophoniste qui a actuellement le vent en poupe. L’autre français de l’étape n’était autre que Titi Robin et son projet, Le Sable et l’écume. Nous invitant à un voyage initiatique vers l’Inde lointaine, le dialogue instauré entre le guitariste et le flûtiste Rishab Prasan était rehaussé par les magnifiques cordes de la contrebasse de Chris Jennings. Assistant à un exercice de jazz de haut vol, le temps semblait alors suspendu et l’espace d’un instant, la musique nous faisait oublier l’intense chaleur d’un après-midi d’été en Haute-Autriche. En parlant d’été, la pianiste italienne, Francesca Tandoi, reprenait le célébrissime Estate, déjà joué au même endroit et dans les mêmes conditions climatiques par Monty Alexander en 2022. A chaque fois, c’est pareil, la chaleur ainsi que les magnifiques paroles d’Estate me font rêver de l’hiver, comme quoi avoir trop chaud peut rendre fou, jusqu’à mourir de douleur… Enchaînant sur Agua de beber de Jobim, la pianiste termina le concert avec un original, Hope, l’espoir dont on peine à se nourrir en ces temps incertains.

Le jazz est souvent une affaire de famille, nous l’avons vu avec la fratrie Plankensteiner dont on notera au passage le rôle du père, musicien lui-même mais surtout ingénieur du son pour les concerts se tenant dans la grange. L’autre famille à l’honneur cette année est celle du pianiste Hans Koller. Aux côtés de son frère, John O’Gallagher, au saxophone et surtout de son fils âgé de 12 ans au trombone et  euphonium, le nouveau Directeur du conservatoire Trinity Laban à Londres nous présenta un répertoire original aux accents monkiens.

©Patrick-Spanko-www.skjazz.sk

Les familles ne se réunissent pas toujours sur scène et en ce qui concerne le trompettiste Mario Rom, trois paires d’yeux le fixaient lors de ses concerts dans le St Pigs Pub. Son épouse et ses deux jeunes fils ne voulaient manquer aucune note de ces intenses échanges entre Rom et Salesny, les deux instigateurs d’un hommage à la musique d’Eric Dolphy aux côtés de Carlton Holmes au piano, Wolfram Derschmidt à la contrebasse et Dusan Novakov à la batterie.

Quant aux amateurs de sensations nouvelles, ils n’étaient certainement pas en reste. Le multi-instrumentiste américain, Scott Robinson, nous invita par exemple à découvrir un instrument peu utilisé en jazz, le tarogato, une sorte de clarinette typiquement hongroise. Il nous expliqua d’ailleurs revenir d’un congrès international de tarogato organisé en Hongrie pour la septième année consécutive. La voix est bien sûr un instrument à part entière et celles des Tenore de Orosei, un quatuor de vocalistes sardes, s’accordèrent admirablement bien aux cordes du violoncelle d’Ernst Reijseger. Leur projet The Face of God, n’est certes pas facile à appréhender mais le public s’est laissé conquérir, notamment lorsque le quatuor a déambulé entre les rangées de spectateurs.

Même si ce jubilée s’est couronné de succès, Paul Zauner âgé aujourd’hui de 65 ans souhaite ouvrir un nouveau chapitre, ce dès l’année prochaine. Pour différentes raisons tout à fait justifiables, il a choisi de revenir à l’ancienne formule du festival, soit des concerts se tenant uniquement à l’intérieur et sur deux jours seulement.

Gageons que le public lui restera fidèle malgré tout et souhaitons-lui bonne chance pour l’avenir, viel Glück comme on dit ici.

 INNtöne Jazzfestival – Musik am Bauernhof von Paul Zauner, Diersbach, Austria

©Photo cover by Patrick Spanko : Yaron Herman et Jumping Jungle

 

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