Chaque festival a ses spécificités. Pour son édition 2018, Au Grès du Jazz – qui se déroule à La Petite Pierre, un charmant petit village (à peine un millier d’âmes) typique des Vosges du nord alsaciennes – a fait la part belle aux duos.
Même parfois augmentés et même si des têtes d’affiche comme Lucky Peterson, Abdullah Ibrahim, Mélanie de Biaso, Laurent de Wilde et Fred Hersch ont assuré la réputation de l’événement dans la foultitude des festivals estivaux.
Après une rencontre insolite en 2017 entre deux géants du free jazz, de la « nouvelle chose » (New Thing) et de la musique européenne librement improvisée que sont Archie Shepp (saxe-ténor) et Joachim Kühn (piano), Au Grès du Jazz a voulu récidiver. Et l’un des temps forts de ces « dualités » a été sans conteste la rencontre entre Shaï Maestro et Chris Potter.
(voir Photo de couverture)
Les deux jazzmen ont donné pour cette 16è édition de la manifestation leur premier et unique concert cet été en France, et le second de leur jeune carrière commune. En effet, le pianiste israélien et le saxophoniste-ténor américain s’étaient donnés rendez-vous pour la première fois en janvier dernier au Mezzrow, un club de jazz de Greenwich Village à New York City. Shai Maestro (qui retrouvera le Trio acoustique du contrebassiste Avishai Cohen le 31 août dans le cadre de Jazz à la Villette à Paris) et Chris Potter (souvent entendu aux côtés de Herbie Hancock et au sein du Mingus Big Band) sont avant tout deux magiciens.
Sur scène pendant près de deux heures, ils ont d’abord montré – à travers des compositions originales et personnelles et un seul standard, « All The Things You Are » de Jerome Kern et Oscar Hammerstein – que l’art du dialogue était aussi celui du partage, de la complémentarité, de l’échange, de la complicité et de l’écoute de l’autre. Redoutables solistes, ils n’ont jamais cherché à se concurrencer, préférant l’émulation et la stimulation. Pour pratiquer un jazz, toujours improvisé, lyrique et éclatant, inspiré, d’une approche parfois classique, mais romantique. D’un exercice qui pouvait s’annoncer osé voire difficile (et pourquoi pas ennuyeux !), les deux instrumentistes ont déjoué tous les pièges avec brio et beaucoup de sensibilité. Du très grand art !
Autres rencontres
C’est un cliché que de dire que le jazz (donc la musique improvisée) et la musique classique fonctionnent dans deux mondes parallèles et que les rencontres réussies sont extrêmement rares.
Celle du Quatuor Voce – Sarah Dayan, Cécile Roubin (violon), Guillaume Becker (violon alto), Lydia Shelley (violoncelle) – et de deux improvisateurs – Vincent Segal (violoncelle) et Kevin Seddiki (guitare, zarb) – n’a malheureusement pas échappé à la règle. Même si les un(e)s et les autres ont essayé de transgresser les barrières pour se faire rencontrer une musique entièrement écrite et une autre libérée de certains carcans, l’alchimie n’a pas totalement prise. Même si le répertoire se voulait un voyage contemporain entre Bartok notamment et les musiques du monde.
À la question : existe-t-il une « école alsacienne du jazz » ? La réponse est : oui ! Jusqu’à présent, son représentant le plus illustre était le guitariste (et bassiste électrique) Biréli Lagrène.
Le saxophoniste Franck Wolf et le chanteur/violoniste/guitariste Matskat (de son vrai nom Mathias Hecklen-Obermesser, qui s’est fait connaître en reprenant « Don’t Worry, Be Happy« , le tube de Bobby McFerrin sur le plateau de « The Voice« ) ont apporté la preuve de la vivacité de ce mouvement.
Même s’il a fallu attendre l’arrivée des premiers invités à cette soirée, jouée à guichets fermés pour les régionaux de l’étape. D’abord le guitariste Railo Helmstetter, pour une très émouvante reprise de « Envie de toi » d’Henri Salvador, puis du puissant trompettiste Christian Altehülshorst, de l’organiste Jean-Yves Jung, puis du virtuose de l’accordéon Marc Berthoumieux. Une fois ce petit monde rassemblé sur scène la musique est devenue – enfin ! – festive, funky, groovy et complètement endiablée. Principalement dans le final ! Comme quoi, le « jazz alsacien » d’une certaine quiétude (ou timidité) peu rapidement se transformer en ouragan musical décoiffant. Hopla !
©Photo Couverture : Shai Maestro & Chris Potter– par Marie-Colette Becker
COMMENTAIRES RÉCENTS