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Le 17 décembre 2019, au Jazz Café Montparnasse, Marie-Laure Célisse (chant, flûte) and the Frenchy’s, César Pastre (piano, Rhodes), Brahim Haiouani (contrebasse, basse), Vincent Frade (batterie) et Jean-Philippe Naeder (percussions),  présentent leur nouvel album « Éteins la Télé » devant un public d’autant plus gagné à leur cause qu’il a bravé les frimas de l’hiver et les aléas d’une grande grève nationale pour écouter son groupe de jazz favori.

Et quoi de mieux qu’un bon vieux Take The A Train  pour débuter un concert placé sous le signe du plaisir et de la joie de vivre ?

Experts en détournements de standards intemporels, les Frenchy’s proposent des mélodies réarrangées et délibérément francisées en vue de leur donner une couleur particulière, une facture déterritorialisée.

Le classique de Billy Strayhorn devient donc, Tu Prends Le RER, et la référence à Duke Ellington est ici tout sauf gratuite tant le jazz des Frenchy’s tire son inspiration aussi bien de la tradition américaine que de la chanson à texte française, avec une aspiration à l’universalité qui suscite une alternance bienvenue entre song book américain et titres du patrimoine français comme Que Reste-t-Il De Nos Amours ?

La sympathie connue de Charles Trenet pour le jazz illustre d’ailleurs à merveille l’esthétique particulière des Frenchy’s, et l’enchainement avec Essa Moça Ta Diferente une bossa-nova qui devient pour l’occasion Éteins La Télé est un véritable bonheur.

Le texte des chansons est l’occasion pour Marie-Laure Célisse, qui signe la plupart des adaptations, de restituer une part importante de son vécu de femme, avec en toile de fond, toutes les interrogations inhérentes à la volonté d’être prise au sérieux sans abdiquer son sens de l’humour, diriger sa propre formation tout en conservant sa sensibilité féminine, faire face aux atteintes de la vie sans imiter le comportement de personnes sacrifiant tout à la réussite. Marilyn Monroe disait que les femmes désirant seulement l’égalité manquent singulièrement d’imagination, et la chanteuse en est la preuve éclatante, elle qui multiplie les clins d’œil appuyés en direction des musiciens et du public, soulignant d’évidence combien sa trajectoire se veut affirmation d’une vocation, tout en restant intimement liée aux rencontres, à une sociabilité qui met en valeur des attaches affectives fondamentales, loin de tout narcissisme d’artiste égocentrique.

À cet égard, cette version si touchante de La Vie En Rose d’Edith Piaf, chantée par son fils Gustave, ressuscite un trop bref instant l’atmosphère des peintures du peintre Francisque Poulbot. Fais-Moi Mal Johnny renvoie à Boris Vian et à un esprit libertaire dont on oublie souvent qu’il était propice à une fête de tous les instants.

Bye Bye Blackbird se réfère à l’univers de Julie London et matérialise le continuum reliant la grande variété américaine avec le hot jazz très roots que défendent depuis toujours les Frenchy’s sur scène. Alleluia est une incursion bienvenue dans le répertoire de Ray Charles et le rythm and blues. 39 De Fièvre est une version torride du célébrissime Fever adapté à l’origine par Boris Vian et en tout cas l’occasion d’exulter avec Paddy Sherlock en invité spécial aux vocaux, dans une véritable fiesta spontanée, pleine d’humour et de talent (le « trombone hero » et la chanteuse donnent presque ici dans la comedia dell’arte).

Le musicien irlandais installé à Paris, qui a déjà joué avec Brahim Haiouani, César Pastre, et Jean-Philippe Naeder, est, tout comme les Frenchy’s, issu d’un collectif de musiciens qui font et défont les nuits de la capitale, où qu’ils jouent et se produisent.

En complices de la première heure, ils permettent de se représenter de manière précise la capacité dont disposent ces artistes d’aborder des musiques métissées issues de folklores divers aux termes d’un nombre d’heures de scène qu’on imagine conséquent. 

Lady Is a Tramp/Bohème est un hommage sensible à Ella Fitzgerald, On The Sunny Side Of The Street, un clin d’œil tendre à Louis Armstrong qui constitue une sorte de prémisse à une nouvelle traversée atlantique pour Oui, Je l’Adore, une référence toute féminine à la chanteuse Pauline Ester, qui connut son heure de gloire à la fin des années 80. Is You Is or Is You Ain’t My Baby est une reprise bienvenue de Louis Jordan, tandis que Route 66, popularisée par Nat King Cole, est un classique de scène des Frenchy’s (sous le nom de Nationale 7).

Dansez sur moiManha de Carnaval et Caravan, nouvelle référence à Duke Ellington, traduisent le pont jeté entre la french touch de Claude Nougaro et les musiques iliennes chaloupées, moyen-orientales, les parfums d’Amérique du sud, enrichis des syncopes permises par l’adjonction précieuse des percussions versatiles de Jean-Philippe Naeder.

On termine sur Je Ne Veux Pas Travailler de Pink Martini et un Noël Blanc de circonstance qui concluent ces deux sets au swing contagieux.

Impossible ici de ne pas mentionner l’apport de Maxime Dégéry (saxophone ténor) en remplacement de Carl Schlosser, qui s’en sort impeccablement tout au long de la soirée, surfant sur les lignes de basse très groovy de Brahim Haiouani et la complicité virtuose de Vincent Frade et Jean-Philippe Naeder.

Aux côtés de Marie-Laure Célisse, les talents d’orchestrateur de César Pastre (qui nous gratifie même d’un duo malicieux de flûte avec sa front woman) rappellent que le jeune pianiste aime Count Basie, et qu’il sait à ce titre servir une mélodie sans jamais la phagocyter.

Les Frenchy’s possèdent à présent la solidité d’un groupe capable de proposer un vrai spectacle de music hall, tout en développant en parallèle un authentique univers d’auteur. Cette communion émotionnelle que l’écrivaine italienne Goliarda Sapienza nommait « L’art de la joie » est au service d’une efficacité scénique imparable qui augure sans nul doute du meilleur pour la suite de la carrière de Marie-Laure Célisse and The Frenchy’s.

©Photos exclusives, Patrick Martineau, JzzM

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