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Hit Couleurs JAZZ

Les duos saxophone/guitare ne sont pas légion, en jazz (en contemporaine je sais pas trop).

Coltrane lui-même, lors de ses séances avec Kenny Burrell de 56, 57 et 58 (rééditées par jazzimagrecords en un luxueux double CD qui vaut 3 francs 6 sous), n’a enregistré avec le guitariste qu’une plage en duo : « Why Was I Born? » (Question débile, au demeurant : pourquoi sont-ils nés ? Ben juste pour faire de la belle musique à la main, à l’ancienne et nous ravir les esgourdes, té peuchère, cong ! Ô pauvre ! — comme on dit à Marseille).

Eh bien Eric Löhrer et Jean-Charles Richard c’est kif kif (comme on dit à Rabat, à Alger et à Tunis, voire à Essaouira où pullulent les Gnawas), sauf qu’eux deux, c’est guitare plus sax soprano ou baryton, ce qui est encore plus rare.

Alors font-ils ça pour faire les malins ? Se demandent mes voisins, qui sont très curieux. Ben NON ! Est-ce qu’ils essaient de dire « Regardez comme on est modernes ? » Que nenni itou. Ils font juste de la très beaucoup bonne et belle musique, en hommage à Steve Lacy (d’où le titre du CD), ce qui est a priori (et a posteriori aussi) un gage de qualité bien épaisse et sans faux col, ni cuistrerie.

C’est Jean-Charles qui débute le premier morceau, composé par Eric.

Et une sonorité de soprano d’une limpidité et d’une densité in-croy-yable vous pénètre alors les oreilles.

Car pour produire de tels sons filés, au soprano, il faut avoir bossé l’instrument des heures et des heures sans relâche pour maîtriser la tessiture et le clétage, le souffle et les doigtés.

J’en parle en connaisseur car je suis possesseur depuis quelques semaines d’un soprano coudé de marque Conn et je suis loin de le maîtriser, entre autres de réussir à sortir un sib grave qui ressemble à autre chose qu’au cri d’un cochon hallal qu’on égorge.

Modèles (Lacy & Liebman) et travail sont de toute évidence les deuxième et troisième prénoms de Jean-Charles. Et ce qui est génial c’est qu’en studio — et j’imagine sur scène où le duo va se produire le 23/01/2025 au Musée d’art moderne de Paris (Métro Trocadéro) à 19H30.

Et si vous n’annulez pas tous vos RDV pour y venir, je ne vous cause plus jamais ! Vous entendez ? JA — MAIS !

On ne sent pas une goutte de sueur : tout le travail est réalisé en amont, ce qui évite que la prestation soit laborieuse. Alors certains diront « La technique, on s’en tape, c’est le cœur qui doit parler ! » OK, mais quand, comme chez feu Martial Solal (l’immense pianiste-improvisateur récemment décédé et dont Jean-Charles était le gendre) une technique terrifiante est mise au service de la beauté — donc du cœur — au lieu de servir de passerelle à la gloriole ou au roulement de mécaniques et au montrage (ça se dit ?) de muscles, (façon James Carter, poor ne pas le citer, mais tant pis c’est fait !) alors on tire son chapeau, une larme d’émotion à l’œil et on dit « Respect » et « Thanx for ze music ! ». 

Bon je ne vais pas tarir d’éloges sur Jean-Charles car la source de mon admiration pour son jeu (de soprano, comme de baryton) ne peut, justement, pas se tarir.

Parlons donc de son compère/confrère manieur de six-cordes électrique. C’est lui qui est l’auteur de deux des thèmes du présent CD et, sur le premier, il se contente d’égrener un petit arpège derrière son comparse sopraniste. Un guitariste qui ne cherche pas à se mettre en avant c’est plutôt rare, vous ne trouvez pas ?

Eh bien, si vous êtes friand(e)s de solos de six-cordes il vous faudra attendre un bon moment avant d’avoir droit à votre marotte. Et là vous vous direz : « Puuuurééé ! Mais cet Eric Löhrer est un peu le Bill Frisell frenchy ».

Vous n’avez pas tort : Eric a traîné ses guêtres et sa gratte dans la chanson française (avec la chanteuse/pianiste Jeanne Cherhal, par exemple), dans la plus ou moins world music avec les gars du trio Hadouk, et j’en passe et des meilleurs.

Ces expériences hors du jazz-jazz lui ont forgé une personnalité unique et, pour vous en convaincre, je vous conseille d’écouter « Evidence », le disque où il n’a enregistré que des thèmes de Monk à la guitare… acoustique. Personne au Monde (sauf, parait-il, un obscur Japonais) n’a osé faire ça ! Ici, donc, Eric déploie avec une infinie douceur — et quelques escapades rockisantes — sa science harmonique, son goût de la mélodie et du son, et son sens implacable et impeccable du placement rythmique, le tout sans le moindre tape-à-l’œil, la moindre vélocité guitaristique, la moindre envie d’épater la galerie.

Au total, on a donc là un disque magnifique où les compos de Lacy, de Monk plus une de Cecil Taylor et un spiritual (Sometimes I feel like a motherless child) se succèdent sans le moindre hiatus, portés qu’ils sont par un duo à la musicalité renversante et qui, de ce fait, devrait ravir les oreilles de tout mélomane (et toot mélowoman) qui se respecte tant soit peu.

Musiciens :

Eric Löhrer – saxophones

Jean-Charles Richard – guitare

L[eg]acy est sorti sous le label L’heure du loup, le 06 décembre 2024. Il est un Hit Couleurs Jazz et est en sélection sur Couleurs Jazz Radio.

 

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