Il est habituel dans les disques de batteurs de chercher tout de suite qui sont les accompagnateurs. On aurait grand tort pour une fois de ne pas se focaliser sur le maître des tambours qui nous joue ici une symphonie pour cymbales et peaux qui remplit l’univers sonore et donne une coloration toute particulière à l’ensemble.
Hors Temps est surtout hors des sentiers battus, un jazz inspiré par la fantasmagorie du traitement réservé aux peaux. Jeux de ballets en sourdine sur fond puissant des cordes de la contrebasse qui répondent note pour note au toucher pianistique, c’est ainsi que débute le disque sur le titre qui donne son nom à l’album. Puis un chant s’élève pour quelques instants au milieu de l’enchevêtrement des discours des trois instruments, comme une évasion…hors temps. Il s’agirait presque d’une symphonie pour quelques minutes volées au temps, volées à l’agencement certain d’une mélodie que l’on croit connaître et qui nous échappe…au fil du temps.
Il s’agit d’une brillante alchimie entre trois musiciens qui explorent à pas non comptés les possibilités de leur instrument respectif. Le constant dialogue entre Bruno Angelini et Arnault Cuisinier est entretenu par cette forme de question-réponse à ne plus savoir qui fait quoi comme si la main gauche de l’un était la main droite de l’autre (Hors-piste). Edward Perraud est magistral derrière ses tambours dont il joue avec un effet consommé d’effacement, un groove tout en finesse, tout en retenue, avec des claquements, des grincements, des entrechocs qui viennent ponctuer les discours des deux autres. Ce n’est pas seulement une partition de batterie et de percussion, c’est une présence qui révèle l’instrument entendu pour lui-même, soliste du tempo, maître du temps, avec un traitement sonore d’une volubilité feutrée, on dirait presque une présence absente !
La trompette d’Erik Truffaz vient mêler son chant sur deux morceaux (Flower of Skin et Neguentropie) apportant une touche cuivrée nébuleuse à ces chants venus d’ailleurs. Comme une version bouddhiste de Stockhausen, (Tiens, il a fait l’IRCAM…) et puis la mélodie contre toute attente…
Un jazz que l’on n’a pas l’habitude d’entendre et dont le leader nous avait déjà fait la primeur sur son précédent opus (« Espace » paru en 2018 avec Paul Lay au piano et Bruno Chevillon à la contrebasse).
Inattendu, parfois espiègle, un jazz qui se joue des temps et des codes, mais avec des sonorités chaudes et une inventivité très expressive, à la mesure de l’extrême sensibilité des jeux développés. Il faut enfin souligner la part du compositeur chez Perraud, qui révèle un talent rare d’écriture et une maestria de la grammaire instrumentale. Le tout servi par des interprètes de haute volée explique l’extrême richesse de cette production.
On s’attend à tout et on est servi.
Personnel :
Edward Perraud – batterie, percussions
Bruno Angelini – piano
Arnault Cuisinier – contrebasse
Erik Truffaz – trompette (4, 7)
Distribué par Label Bleu/L’autre distribution – 2021
Photo ©Edward Perraud
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