Exposition Boris Vian, intitulée « En Avant la Musique » à la Fondation Jan Michalski à Montricher, Suisse. Couleurs Jazz Digital Magazine était invité à ce « vernissage musical », un terme qui n’aurait pas déplu à l’auteur, compositeur, pataphysicien…
Déjà, saluons l’idée d’une grande exposition consacrée à ce génie (délicat d’employer un tel épithète, qui ne lui aurait pas plu, c’est certain), cet esprit brillant, hors normes, loin des sentiers battus et des lignes droites ou courbes déjà tracées.
Et quand le lieu, la Fondation Jan Michalski, est l’écrin hors du commun, tout comme l’artiste à qui l’hommage est rendu, les planètes sont alors alignées pour un voyage autant imaginaire qu’interstellaire.
Boris Vian était, au vrai sens du terme, un original, doué en plus d’un esprit scientifique rationnel, sanctionné après de brillantes études, récipiendaire d’un diplôme d’ingénieur d’une des plus prestigieuses écoles de la République, Centrale.
Il fut avant tout un créateur à l’inventivité multidirectionnelle, musicien – de jazz cela va de soi – auteur protéiforme de romans, de nouvelles, traducteur de la langue de Shakespeare, ou plutôt de la culture américaine, chroniqueur de jazz, auteur de multiples chansons et de musiques, de livrets d’opéra, de spectacles pour le théâtre et le cabaret, directeur artistique…
Né entre deux guerres (1920), il vécut plusieurs vies en une seule et disparut beaucoup trop tôt (1959), comme une comète, se sachant d’avance condamné par une santé fragile.
Il était comme le Jazz qu’il adorait, libre.
Dès l’adolescence, il tend une oreille intéressée et vite avertie à la musique jazz. Ses premières amours en la matière furent infusées à l’écoute de Duke Ellington. Il collectionne les disques avec passion, passion qu’il partage avec ses frères. Ensemble ils organisent des surprises parties – Jazz, dans le parc familial de Ville d’Avray où ils se produisent. Avant de fréquenter et de se produire dans les clubs de Jazz de Saint Germain des Prés.
Le « Prince» du lieu, en lutte contre les conventions, ne se contente pas de jouer de la trompette, du cor à gidouille à dix-huit tours, de la trompinette, il fut un enthousiaste défenseur et pédagogue de la culture jazz. Défricheur de talents et critique prolixe, aussi érudit qu’effronté, il collabore toute sa vie à diverses revues de Jazz.
Avec Henri Salvador, il importera le Rock en France. Cette musique aux rythmes simples l’amusait ; ainsi s’en ressentent les paroles des chansons devenues phares, comme « Va t’faire Cuire un Œuf, Man » ou « Fais-moi mal Johnny »
Également éditeur, directeur artistique et programmateur, il transmet son enthousiasme à ses contemporains pour Miles Davis, Charlie Parker, Dizzy Gillespie ou Bix Beiderbecke, et propulse l’avant-gardiste be-bop sur le devant de la scène.
Fin critique, acerbe, drôle, intelligent… Relire ses chroniques magnifiques est jubilatoire :
« Expliquer, expliquer ! – Je ne comprends pas-, dit le spectateur devant la peinture abstraite ; mais c’est qu’il n’y a pas à comprendre : il faut regarder. Que font d’autres, ceux qui comprennent ? Peu de chose : il se trouve que chez eux, la vision des couleurs suscite un réflexe graphique et les mots coulent, coulent sur le papier. Mais pourquoi ce réflexe ? Pourquoi ci ? Pourquoi ça ? Et pourquoi, ou pourquoi pas ? Faux problème ! En vérité, sincères sont ceux, qui saisis d’enthousiasme, veulent le faire partager à autrui. Et parfois ils y arrivent : mais ils y ont gagné quoi ? non pas l’adhésion au tableau ou au disque, mais l’adhésion à leur opinion. »…
Cf. Extrait tiré des « Chroniques de Jazz » édition Pauvert.
Cette musique si essentielle à Boris Vian imprime son tempo et ses influences jusque dans ses œuvres littéraires. « J’irai cracher sur vos tombes » lui vaudra d’acerbes critiques de la bourgeoisie bien-pensante et un procès avec le motif « contraire aux bonnes mœurs ». Imaginez l’histoire sous la forme du roman noir mettant en scène le viol d’une jeune fille noire par des blancs… « Le Déserteur » lui valut également les foudres de la censure et des interdictions d’antennes. Le manque de succès littéraire de ses romans le fit écrire des chansons, des centaines. Certaines sont chantées par lui, accompagné au piano par Alain Goraguer, que l’on a retrouvé pour l’inauguration, lors d’un récital fort émouvant, dans le magnifique auditorium de la Fondation Jan Michalski. Il était en trio avec son fils Patrick Goraguer à la batterie et Chris Jennings à la contrebasse.
À travers de nombreux documents d’archives, photographies, enregistrements, manuscrits et éditions originales, l’exposition propose un parcours visuel et sonore pour croiser toutes les facettes de Boris Vian, homme de musiques, au-delà de l’homme de lettres : virtuose et pointue plume jazzistique. Un homme d’exception.
Quant à l’écrin choisi pour cette formidable exposition, « La Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature », c’est un véritable choc émotionnel, tellement la beauté, la sérénité et l’art architectural y règnent.
Nous sommes à Montricher, au pied du Jura suisse.
C’est Vera Michalski-Hoffmann, éditrice, en mémoire de son époux, qui eut l’idée de ce grand-œuvre.
La mission de la Fondation Jan Michalski est de favoriser la création littéraire et d’encourager la pratique de la lecture à travers diverses actions et activités, parmi lesquelles l’organisation d’expositions et d’événements culturels en lien avec l’écriture et la littérature, la mise à disposition au public d’une grande bibliothèque multilingue, l’attribution d’un prix annuel de littérature mondiale, l’octroi de soutiens financiers et l’accueil d’écrivains en résidence.
Pensée comme une petite cité à l’abri d’une canopée, posée au cœur d’une nature inspirante, la Fondation Jan Michalski a ouvert ses premiers espaces en 2013 et offre un lieu de rencontres unique, tourné vers le monde, où se mêlent écrivains, artistes et public.
Autre avantage notable : la beauté naturelle du site ! La Fondation prolonge la forêt de sapins du Jura et offre une vue imprenable sur le lac Léman avec les Alpes françaises en toile de fond.
C’est bien simple, surtout après avoir vu « les cabanes d’écrivains » suspendues, et la bibliothèque sur cinq niveaux ouverte à tous, vous vient soudain l’envie, et presque l’inspiration, sinon l’évidence, de revenir ici, écrire le roman de votre vie, ou à défaut lire de longues et belles heures.
Cet été, la Fondation Jan Michalski avec l’exposition temporaire Boris Vian – « En Avant la Musique ! » est la destination la plus originale et le séjour le plus culturellement zen, où se rendre. (En TGV depuis Paris…)
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Pratique :
Fonds documentaire : Cohérie Boris Vian (dont les documents présentés ici)
Commissariat : Nicole Bertolt, mandataire pour l’œuvre et directrice du patrimoine de Boris Vian, en collaboration avec la Fondation Jan Michalski
Ouverture de l’exposition
Du 16 juin au 2 septembre 2018
Mardi à vendredi, de 14 h à 18 h
Samedi et dimanche, de 9 h à 18 h
Entrée CHF 5.- (plein tarif) | CHF 3.- (étudiants, retraités, chômeurs, groupes, AI) | gratuit pour les moins de 18 ans et les habitants de Montricher.
Nos remerciements chaleureux à toute l’équipe de la Fondation Jan Michalski pour son accueil et pour nous avoir fourni tous les moyens nécessaires à ce reportage, ainsi qu’à Nicole Bertolt pour sa passion communicative quant à l’oeuvre de Boris Vian, pour son érudition sur le sujet et pour nous avoir permis de montrer ici des documents et des objets essentiels.
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