L’unisson cuivré du tout début de l’album nous ramène à la fin des années 1980 au « Village » à Saint-Germain des Prés. Le pianiste « Mernard Baury »[1] peste derrière son clavier contre les deux frères encore en discussion au bar. Puis le set commence, Stéphane au bugle, un Kanstull de préférence, Lionel sur son ténor qui semble ne plus avoir d’âge. Les volutes cuivrées tourbillonnent et ordonnent un silence qui confine au mystique. La pluie germano-pratine pousse quelques inconnus à se réfugier dans ce petit antre de la rue Gozlin. Silence. Ils jouent. Les yeux fermés, on se plaît à reconnaître quelques tourments Harrellien dans les turnarounds du bugle, ou une tendresse Bakerienne, pendant que l’on devine des délires Coltraniens ou quelques plaintes Gordoniennes au travers des tampons du ténor. Les Belmondo sont en place.
Puis il y aura d’autres lieux, d’autres rencontres, d’autres influences et beaucoup d’enregistrements dans différentes formations et bien sûr en quintet, côtoyant au passage nombre de pianistes, bassistes et batteurs qui participent à la renommée du jazz made in France dont la citation comme une longue litanie soulignerait ce que cette musique a produit comme pointures ces trente dernières années.
Du hard-bop aux contrées plus aventureuses d’un jazz contemporain, embrassant divers styles et tempi qui tapissent l’histoire de la note bleue, les frères Belmondo restent toutefois fidèles à la qualité irréprochable du son et du placement. Il y a une touche Belmondo, il y a un son Belmondo. Fabriqué aux accents du sud et maturé dans un environnement musical légué par leur père, Yvan, saxophoniste baryton, à qui ils rendront un hommage mérité et troublant de tendresse dans le magnifique « Mediterranean Sound » du Belmondo Family Sextet. Hommage réédité dans le présent enregistrement avec l’exécution du très beau thème « Song For Dad« , comme une prière à la tonalité d’un message poétique où seuls les exécutants communient. Court et limpide exposé des vents, tout est dit.
Un Stéphane Belmondo très en verve dont la longueur du souffle n’a d’égale que celle des bras du pianiste Kirk Lightsey. On se souvient de leur magnifique duo. Et un Lionel Belmondo, immuable, déconcertant de tradition qui s’invente à chaque souffle. L’oxymore habille les compositions de la fratrie. On invente, mais on reconnaît. Le son pour l’auditeur, la référence pour les deux frères.
Qualifiée à l’occasion de leurs retrouvailles de quintet mythique, pour les galettes dont ils nous ont régalés au fil du temps, pour l’élan vivifiant qu’ils ont toujours su donner au jazz hexagonal. Cette dernière livraison ne fait pas exception en revenant à leurs premières amours d’un jazz bop en quintet solidement charpenté comme joyeusement mélodique. Par des compositions extrêmement travaillées, des clins d’œil en signe d’hommage aux références (Wayne’s Words, Yusef’s Tree, Letters to Evans Woody‘n Us, des titres éponymes identifiables) ils concilient respect de la tradition, souvenirs des routes empruntées et partagent toujours cette joie folle de jouer.
Ici entourés de solides compagnons de route, au premier rang desquels le pianiste Eric Legnini, le quintet délivre une musique où l’écriture n’empêche pas la spontanéité. Souffle puissant et chaleur expressive du ténor (Prétexte), lancinants aigus du soprano (Woody’n Us), la profondeur feutrée tout en retenue du piano (Letters to Evans), la délicatesse agile du bugle (Song for Dad), sans oublier la solidité de la rythmique qui soude parfaitement l’ensemble avec un traitement des basses en harmonie parfaite avec l’acier des vents, tout concourt à faire de cet album une belle signature pour un retour.
On pourrait alors se faire musicographe et délivrer à ces œuvres un audacieux discours fait de détails techniques. Je ne le ferai pas, tant les mots s’affadissent lorsqu’ils ne construisent pas et se font uniquement laudateurs. En ce cas, il faut rendre à la musique toute sa mesure et prendre le temps de lui rendre l’hommage qui lui est dû en l’écoutant plutôt qu’en la paraphrasant.
Si cet opus doit s’écouter intimement, tant le professionnalisme des interprètes ne cède en rien aux sentiments exprimés, il doit aussi être entendu car les Belmondo font partie du patrimoine du jazz français. Les frères Belmondo jouent la musique, jouent de la musique, sans jamais se jouer de la musique.
Bop Bless the Brothers !
Personnel :
Lionel Belmondo – saxophone ténor, soprano et flute
Stéphane Belmondo – trompette, bugle
Éric Legnini – piano
Sylvain Romano – contrebasse
Tony Rabeson – batterie
[1] Bernard Maury de son vrai nom, ainsi affectueusement surnommé par les frères Belmondo.
©Photos by Areteanu
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