Les duos saxophone/vibraphone ne sont pas légion en jazz et, sans avoir fait de recherches approfondies, j’oserai affirmer que celui-ci s’il n’est pas absolument inédit — il a été précédé par un autre duo de Frank Tortiller avec le saxophoniste baryton François Corneloup — reste une rareté.
D’autant qu’il associe à un musicien français bien connu une souffleuse allemande, fait rare dans un Hexagone qui semble globalement aveugle par rapport à ce qui se passe outre-Rhin (voir mon article «Nos voisins d’outre-Rhin» sur ce site).
Mais Franck Tortiller, qui a publié il y a quelques années un autre beau duo avec le guitariste Misja Fitzgerald-Michel, ne s’est jamais laissé arrêter par les frontières. N’a-t-il pas jadis fait partie du prestigieux Vienna Art Orchestra autrichien et continué par la suite à fréquenter des instrumentistes européens ou américains. Une telle ouverture d’esprit — que l’on retrouve par exemple chez un de ses familiers, my mainman Michel Godard (tuba, serpent & basse électrique) — est suffisamment rare pour mériter qu’on la mentionne et qu’on félicite ces deux musiciens.
Tortiller connaît donc bien Alexandra Lehmler, contrairement à moi qui la découvre ici, et c’est peu dire que cette découverte est un enchantement. Cette saxophoniste qui pratique essentiellement le soprano et le baryton est une musicienne de premier ordre qui, par ailleurs, contribue à près d’un tiers du répertoire de ce beau disque où sa plume inspirée fait merveille. Sa sonorité sur le sax droit est particulièrement remarquable : fruitée, magnifiquement timbrée, en osmose avec un phrasé ductile du meilleur aloi. Cette souffleuse est avant tout une mélodiste et son jeu constamment cantabile est l’un des points forts de cet enregistrement.
Pas étonnant qu’elle et son vibraphoniste d’accompagnateur aient souhaité inclure à leur répertoire un air de Puccini : lyrique et mélodique à souhait, comme tout ce que composa le maestro italien au XIX° siècle, ainsi qu’un thème démarqué d’une composition de Jean-Philippe Rameau, ce grand maître de l’harmonie et de la mélodie de l’époque baroque. Si l’on ajoute à cela une chanson de Serge Gainsbourg, on aura compris que ce duo est avant tout préoccupé par la capacité à faire chanter leurs instruments.
Franck Tortiller, qui compose et/ou arrange la majorité du répertoire n’est à ce niveau pas en reste. Son vibraphone sonne essentiellement de façon mélodique et, bien qu’il fasse partie des instruments à percussion, ses envolées lyriques comme le soutien qu’il apporte à la saxophoniste sont d’un moelleux incomparable tant au niveau des accords de toute beauté qu’il joue derrière elle que des solos inspirés dans lesquels il se lance sans jamais tirer la couverture à lui. C’est donc une parfaite entente que nous avons là et le sax baryton n’est pas en reste quand il s’agit de chanter à pleine voix tout en restant dans une esthétique intimiste propre au duo.
Ce disque — dont le titre « Aerial » évoque bien l’atmosphère aérienne qui le caractérise — s’écoute donc avec un plaisir renouvelé et sa beauté ne verse jamais dans la joliesse, ne sonne jamais anecdotique mais relève du chant primal qui vient du coeur et des tripes et ne s’aventure jamais sur le terrain de la virtuosité technique cérébrale et stérile.
Absolument remarquable !
Musiciens :
Alexandra Lehmler : saxes
Franck Tortiller : vibraphone
Aerial est sorti sous le Label MCO en Mai 2023.
©Photos Philippe Groteloh
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