En jazz le Danemark est surtout réputé pour ses bassistes et, depuis feu Nils Henning Ørsted Petersen, chaque génération a produit un excellent praticien de la « grand-mère » tels que Jesper Bodilsen ou Thomas Fonnesbaek.
Mais c’est oublier que le petit pays scandinave — comme d’ailleurs ses grands voisins suédois et norvégien — est également un nid de batteurs de premier ordre dont l’aïeul est Alex Riel. On peut expliquer ce phénomène par le fait que Copenhague ayant été — grâce à son historique club le Jazzhus Montmartre — une halte quasi obligatoire pour les musiciens américains en tournée, dont certains se sont établis pour quelque temps dans la capitale danoise, les batteurs locaux ont eu l’occasion d’accompagner une pléiade de solistes de premier plan et donc de se familiariser avec les styles de jeu pratiqués outre-Atlantique.
On peut même affirmer qu’en Europe, Copenhague était, parallèlement à Paris, le principal lieu où cet échange pouvait se produire.
J’ajouterai qu’un autre élément me semble avoir joué un rôle dans l’éclosion d’excellents batteurs au Danemark : l’installation à Copenhague d’Ed Thigpen qui y vécut les dernières décennies de sa vie et s’y éteignit en 2010.
L’ancien accompagnateur d’Oscar Peterson ou d’Ella Fitzgerald put ainsi servir de mentor à de jeunes batteurs danois tels que Kresten Osgood ou Stefan Pasborg, lequel fut également l’élève d’Alex Riel.
La boucle est ainsi bouclée et nous permet de revenir à ce batteur aujourd’hui octogénaire qui, ayant développé son style de jeu avant l’arrivée d’Ed Thigpen, ne fut pas influencé par son aîné américain.
Juste retour des choses, après avoir accompagné nombre de musiciens étatsuniens à Copenhague, c’est à New York qu’Alex Riel eut l’occasion d’enregistrer à deux reprises en 1997 et 1999 en tant que leader de deux combos sous la férule des frères Niels Lan et Chris Minh Doky qui produisirent l’un le premier disque, l’autre le second tout en y participant en tant qu’instrumentistes.
La réédition de ces enregistrements en un double CD est l’occasion de (re)découvrir des formations inédites au sein desquelles se distingue le saxophoniste ténor Jerry Bergonzi, compositeur par ailleurs d’une bonne partie du répertoire. Lui que l’on peut entendre dans nombre de contextes en sideman comme en leader réalise ici l’un de ses enregistrements les plus convaincants.
C’est aussi une rare occasion de l’entendre sur quatre plages aux côtés de son confrère Michael Brecker. Ce duo de ténors est un des points forts de ces deux CDs auxquels des musiciens du calibre de Mike Stern, Kenny Werner et Eddie Gomez contribuent de façon particulièrement stimulante en s’investissant bien au-delà de ce qu’on pourrait attendre de requins de studios.
Le seul standard de ce répertoire « I Fall in Love too Easily » et le seul thème à être interprété en trio avec Kenny Werner et Chris Minh Doky en est un splendide exemple.
Ce sont donc là deux remarquables enregistrements où Alex Riel affirme sa dimension de leader tout en fournissant à ses deux groupes le soutien tonique et subtil d’un jeu de batterie qui le place dans le peloton de tête des batteurs européens, ce que confirme un solo absolu de près de 4 minutes et d’une remarquable densité où Riel sollicite, à l’ancienne, essentiellement sa caisse-claire et ses toms plutôt que les cymbales.
Musiciens :
Alex Riel : batterie
Jerry Bergonzi : sax ténor
Michael Brecker : sax ténor
Mike Stern : guitare
Kenny Werner : piano
Niels Lan Doky : piano
Eddie Gomez : contrebasse
Chris Minh Doky : contrebasse
In New York est d’abord sorti en 1997 sous Sundance Records puis réédité par Stunt Records en 2023.
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