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Questions de genre et place des femmes dans le jazz.

Cet ouvrage collectif, bâti autour de textes rassemblés par Vincent Cottro et Pierre Fargeton, traite de la place et du rôle des femmes dans le milieu du jazz en suivant une approche pluridisciplinaire portée essentiellement par la notion de genre et la musicologie.

Cette méthode d’analyse permet aux auteurs d’examiner les aspects d’une question sous des angles différents en confrontant une grande variété de points de vue. Celle concernant la présence constante mais numériquement faible des femmes dans le jazz français, démontrée ici par les données rassemblées par Laurent Cugny pour la période 1950-2012, faisant l’unanimité.

Le ton général du livre est donné dès la première page par une traduction française remarquable de l’article fondateur de Sherrie Tucker intitulé « Big Ears: Listening for Gender in Jazz Studies » (Current Musicology, 71-73, 2001) qui fut l’une des premières à établir un lien entre genders studies (études de genre) et jazz.

Signalons que Sherrie Tucker est l’autrice de « Swing Shift « All-Girl » Bands of the 1940s » (Duke University Press, 2001) qui fait autorité.

L’ensemble des sujets traités est décliné en trois parties : Discours, pratiques, politiques du genre ; Images et représentations : autour des stéréotypes du genre ; Entre Ombre et lumière : quelques cas emblématiques. Est ainsi évoquée dans ce dernier chapitre la situation de musiciennes, certes présentes dans l’histoire du jazz, mais dont le rôle n’a pas été évalué à sa juste valeur (Melba Liston, Lil Hardin Armstrong, Mary Lou Williams). Particulièrement significatif est le cas de cette dernière dont le jeu novateur sur le plan harmonique évoqué par Philippe Michel dans le chapitre « Le coup d’avance d’une joueuse de quartes » a été en partie occulté par la critique. Cette analyse trouve un prolongement naturel dans l’entretien qu’il a mené avec Pierre-Antoine Badaroux, le directeur de l’Umlaut Big Band qui a produit un double album « Mary’s Idea » consacré à la musique de la grande Mary Lou Williams.

Invisibilisée de la sorte, la jazzwoman, selon Christian Béthune, se voit contrainte de s’identifier au modèle masculin ou à pratiquer ce que Michel Contat appelle le « jeu de la féminité décolletée. » ; cet aspect est illustré par la représentation des femmes sur les pochettes de disques (Vincent Cottro).

Commentant la question de genre, Martin Guerpin met en avant l’utilisation pernicieuse de stéréotypes genrés dans le jazz comme celui utilisé dans les années 20 par Paul Whiteman pour distinguer le jazz américain, paré de vertus viriles (masculin), de la musique savante et du jazz européens qualifiés de féminin.

Ce livre donne aussi la parole à des musiciennes comme Marie-Ange Martin qui apporte un témoignage éloquent sur ses conditions de travail et les difficultés rencontrées pendant quarante années de « métier ». Un autre point de vue est exprimé par Frédéric Maurin directement confronté à la réalité politique, d’abord au sein de son groupe Ping organisé en 2005 autour de copains de conservatoire puis en tant que président de l’ONJ où il appliqua les règles de la parité instaurées par le ministère de la culture.

Ces textes traitent avec compétence et une hauteur de vue remarquable de la place des femmes dans le jazz, un sujet plus que jamais d’actualité et d’une importance sociétale majeure qui n’avait pas fait jusqu’à présent l’objet d’un investissement suffisamment conséquent de la recherche universitaire, si l’on excepte, en France, les travaux de Marie Buscatto, autrice de la postface de l’ouvrage.

C’est maintenant chose faite avec ce livre qui constitue une référence première sur le sujet.  

 

À l’Invisible Nulle n’est Tenue

Questions de genre et place des femmes dans le jazz

Sous la direction de Vincent Cottro et Pierre Fargeton

Presses Universitaires François-Rabelais de Tours, 2023

©Photo Header Heretycki-pixabay

 

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