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Vilnius Jazz en est à sa 37ième édition, qui est pour moi la seconde puisque j’y suis venu pour la première fois l’an dernier (voir l’article sur couleursjazz.fr)

Premier soir

Et ça commence par une série de duos très variés puisque le premier réunit deux figures historiques de la culture — et pas que — lituanienne : le batteur-percussionniste septuagénaire Vladimir Tarasov, né en Russie mais établi à Vilnius depuis plusieurs décennies et le poète nonagénaire (il fêtera son 92ième anniversaire le surlendemain du concert de ce soir) Vytautas Landsberghis, sur lequel il me faut vous donner quelques renseignements :

musicologue, joueur d’échecs, poète et homme politique, Landsberghis a été le premier président de la Lituanie libérée du joug soviétique. C’est donc une légende vivante, une figure tutélaire de père symbolique — un type d’homme qu’on ne trouve plus dans notre Hexagone exigu — qui s’avance sur scène en s’appuyant sur sa cane.

Et c’est Tarasov qui démarre le concert de façon hyper mélodique et économe sur son kit hypertrophié. Il nous donne un avant-goût de sa petite musique tandis que le poète attend calmement son tour. Et quand sa voix s’élève quelques minutes plus tard, elle clame et chantonne en alternance avec un phrasé qui laisse de larges places au silence.

Les mailloches de Tarasov résonnent sur ses toms accordés et les clochettes tintinnabulent en accélérant puis ralentissant le tempo. Je ne comprends évidemment rien à ce que récite Landsberghis mais d’une part je me dis que ce n’est pas en France qu’on pourrait entendre ça (sauf peut-être dans quelques cercles fermés intello-élitistes) tant la poésie, dans notre pays, est devenue un art confidentiel et élitaire… si l’on excepte my main Man Jacques Réda, qui vient de nous quitter à 95 balais (voir hommage, sur couleursjazz.fr itou).

D’autre part, les sonorités de la langue lituanienne et le débit fluctuant de la parole du poète sont fascinants et hautement musicaux. Les timbales d’orchestre vrombissent ensuite puis un carillon énonce tout en douceur une jolie petite mélodie. Pas de doute — même pas cartésien, René — : ces deux hommes se connaissent et partagent une même approche de la musique où la voix des tambours, des cymbales, des cloches et celle des cordes vocales se marient en un fascinant entrelacs d’une beauté stupéfiante.

Vytautas Landsberghis & Vladimir Tarasov

Quand les toms et les cymbales se déchaînent façon tonnerre, le poète reste coi mais observe attentivement son percutant partenaire en attendant son tour. Et c’est sur la voix de Landsberghis que Tarasov termine le concert par un drumming d’une grande limpidité coloriste avant de laisser aux cloches tubulaires le soin de sonner le dernières notes de ce fort beau concert initial.

Suivent deux petits (sic) Frenchies que je connais bien mais que je n’ai jamais eu l’occasion d’entendre ensemble. Pourtant sax baryton et violoncelle, on entend ça à tous les coins de rue dans notre beau pays.

Non, pas vous ?… Bizarre autant qu’étrange !

En tout cas deux voix graves qui peuvent monter dans l’aigu si ça leur chante et qui multiplient les angles d’attaque de leur instrument, ça le fait gravos. Archet sur toute la tessiture du violoncelle — legato ou staccato — pour l’un ou jeu en accords guitaristiques, riffs dans les graves du baryton pour l’autre et mélodie dans les aigus.

Tous deux — Vincent Courtois (vcl) et François Corneloup (bs) — sont de foutus maestros sur leur biniou. Un biniou à quatre cordes ? Quénum, tu dérailles, mon mec !

Ben pas plus qu’eux deux, en tout cas, qui slaloment et surfent allègrement entre raucité et cantabile, le tout sans la moindre partition (parties les partoches !) tant ils se connaissent bien.

Vincent Courtois & François Courneloup

Et c’est un voyage où le bois des anches et de la caisse de résonnance et le métal du corps du sax et des cordes du violoncelle vibrent à l’unisson en un chant gravement enchanteur, mélodieux (Ô dieux !) ou free-sonnant qui défile tranquille ou à perdre haleine et vous percute à l’aine, aux tripes, aux tympans et droit au cœur.

Suit un autre duo (oui, encore, mais je vous avais prévenus, et en pluche it takes two to tango, comme disent les Argentins anglophones) et c’est très bien comme ça, et cochon (hallal, bien sûr) qui s’en dédit !

 

Après les Lituaniens puis les Franzouskys voici des Australiens. Décidément, la programmation d’Antanas Gustys, le boss et créateur du festival, est créative en diable et au fur et à mesure que je vous la déclinerai, vous vous direz : « Mais où d’autre en Europe peut-on voir/entendre une telle diversité de musiques ? »

Piano (Alister Spence) et batterie (Tony Buck), ce n’est pas très courant non plus.

Le clavier est globalement lyrique, en accords affutés, arpèges inventifs, — soit percussifs, soit perlés — et il déroule une mélodie chantante et attachante.

La batterie, quant à elle, recourt à une grande variété de frappes et de techniques — telles que le bord des cymbales frotté à l’archet et ce en totale et attentive écoute des 88 touches de son partenaire. Ce dernier passe maintenant à la vitesse et à la puissance supérieure, souvent en accords, tout en maintenant la veine mélodique et une certaine douceur, tandis que le batteur l’épaule magnifiquement.

Alister Spence & Tony Buck

Puis retour aux notes piquées avec pas mal d’espace laissé aux silences tandis que le batteur se met aux percussions manuelles sur les toms et des objets métalliques, sans négliger une grosse caisse très terrienne. Ce qui suit voit les deux hommes s’embarquer dans un vaisseau fougueux navigant sur une mer sonore démontée qui se calme en beauté au final, et où le pianiste abandonne momentanément son clavier pour des sonnailles. Le pianiste joue ensuite un petit air répétitif avec un objet métallique dans la table d’harmonie du piano à queue et la batterie l’épaule aux mailloches avant que son compère ne passe aux percussions coloristes et aléatoires (en apparence) à la fois dans la table d’harmonie et sur le clavier.

Et le final est fort et furieux, dans la meilleure tradition (sic) post-free illustrée aux USA par un Cecil Taylor ou un Matthew Shipp ou, en Europe, par la regrettée Irène Schweizer, tou(te)s pianistes qui ont exploré le duo avec batteurs et percussionnistes.

Mais le rappel est tout doux, tout court, presque silencieux et mélodico-hymnique, pas très éloigné du Duke Ellington de Money Jungle. Tout bien considéré, le grand Hexagone étriqué ferait bien de regarder du côté de la petite et inventive Lituanie pour programmer des artistes venus de l’Hémisphère Sud, qu’on ne voit — sauf erreur de ma part — quasiment jamais sur nos scènes.

Deuxième soir

Comme toujours, dans les festivals qui le permettent et où j’ai mes habitudes, je passe une partie de l’après-midi à assister aux balances-son. Aujourd’hui il y a celle du trio Nout, que je ne connais que de nom et de réputation et je tiens absolument à voir ces trois filles tester le son de leurs instruments atypiques — ou plutôt dont la réunion est atypique : flûte et effets, harpe électrique et batterie et effets.

Certains diront que les deux tiers de cette instrumentarium sont des instruments de gonzesses. Et alors ? C’est, comme souvent — voire toujours en jazz — la façon dont on en joue qui compte. Rien n’empêche un colosse d’un mètre quatre-vingt-douze par 120 kgs de souffler dans un piccolo, un ocarina, un pipeau…

Et les meufs de Nout (il est toujours bon d’avoir une particule…) n’ont rien à envier à aucun mec quand elles entonnent leur version de la BO du dessin animé « Inspecteur Gadget » ou quand elles miaulent dans un micro. Ca s’annonce donc Jazz/métal/free-sonnant/fun en diable. Et c’est ça qu’on aime, puu…rééée ! C’est ce genre de mélanges qui vivifient le jâââze, bien mieux que la plupart des mixes world music. Non mais…

Nout ©Photo: Greta Skaraitiene skaraitiene@gmail.com

Et c’est Nout qui démarre la soirée de façon super mélodique et swingante. Nous Nout nous plaît quand elles play sans nous causer la moindre plaie. Au contraire : nos esgourdes se font rapidement à ce son qui d’un seul coup enfle et se précipite vers une sorte de rock brusquement interrompu par une brève et jolie mélodie tranquille avant que le noise (du vieux Français « noise ») ne reprenne (n’heureux prenne ? Pas de prisonniers en tout cas !). Et le morceau suivant est délibérément binaire et bruyant.

Mais comment allons-nous terminer la soirée si ça démarre si fort et si puissant (si puits sans fond font font les petites…).

Mais le girl band nommé Nout est tout sauf un gang de foutues marionnettes. Et le morceau suivant, amorcé à la harpe seule, est si tendrement cool qu’on en chialerait de bonheur. Et quand la flûte rejoint sa potesse harpiste on étouffe quelques sanglots longs qui, en automne, comme disait Verlaine…

Et en automne, à Vilnius, les feuilles mortes se ramassent à l’appel (des 18 joints ?).

Mais revenons à Nout ! La harpe électrique est un instrument rare en jazz, et il ferait beau voir qu’elle ne devînt point asap le second voire le premier instrument de tout(e)- jazzman/woman qui se respecte et souhaiterait qu’on la/le respectât fissa, comme on le fait ce soir avec Rafaëlle Rinaudo(et a-t-on le choix ?). La flûte, n’en parlons pas : de Yusef Lateef à Sylvaine Hélary via Eric Dolphy, Hubert Laws, Lew Tabackin, James Newton, Magic Malik… elle a depuis longtemps acquis ses lettres de noblesse jazzistique et Delphine Joussein y injecte un souffle tantôt doux, tantôt puissant, avec l’aide de moult pédales hendrixiennes.

Et la batterie, dans tout ça ? C’est — comme par hasard — le troisième instrument de genre féminin avec la harpe et la flûte (la la la), mais ce n’est pas pour cela que Blanche Lafuente l’a choisie ni que ses deux comparses se sont associées à elle (caisse vous croyez ?) et elle est tantôt crépitante sur les cymbales, tantôt terrienne sur les toms et la grosse caisse (c’est clair !) mais toujours (re)bondissante, tonique, lourdement binaire, finement ternaire…

Bref, elle a tout compris et tout assimilé de la fonction du seul instrument créé par et pour le jazz il y a un peu plus d’un siècle. Les musicologues sentencieux qui se sont penchés récemment sur la place des femmes dans le jazz feraient bien d’aller écouter Nout pour réviser leurs propos trop marqués, à mon goût, par la mode des gender studies, venue des States et qui contamine les facs européennes.

En attendant, Vilnius Jazz — sous l’impulsion d’Antanas Gustys qui, comme votre dévoué serviteur, n’a procréé que des filles et s’en réjouit — a toujours accordé une place importante aux meufs du jazz et il peut allègrement servir de modèle à plus d’un mâle dominant de la tribu des programmateurs de festivals franchouillards. Suivez mon regard…

Et c’est la BO totalement déconstruite/reconstruite d’« Inspecteur Gadget » qui vient ensuite, suivie par un dernier morceau bruitiste et atonal puis brut de décoffrage genre fourre-tout mélodico-foutraque.

Et, pour nous achever, un rock sauvage (c’est son nom) façon punk binaire puissamment ludique, conclut ce concert aussi initial que mo-nu-men-tal, que le public applaudit à tout rompre. Encore une fois, a-t’il le choix ? Oui : celui de réclamer ou non un rappel, qui sera soft et répétitif puis enflera lentement jusqu’à devenir une mélopée à la scansion appuyée, zébrée de traits de flûte et de harpe, soutenus par une batterie punchyssime.

Un tel trio, on n’en voit/entend pas deux dans l’année !

Le groupe qui suit est si différent qu’il n’aura aucun mal à recueillir l’approbation de l’auditoire, plus nombreux qu’hier puisqu’on est vendredi soir. D’autant qu’il débute par un discours très — et très justement — politique de la leadeuse Amirtha Kidambi sur la place des Américains d’origine asiatique, comme elle, aux USA.

Amirtha  Kidambi

La voix s’enfle accompagnée par l’harmonium et le reste du quintet nous la joue free, mais de façon intelligente.

Le morceau suivant est dédié aux paysans et plus généralement à tous les travailleurs, y compris ceux de la musique. Une telle approche parle évidemment aux citoyens d’un petit pays qui a subi la domination de la Russie soviétique pendant des décennies, même si le public — assez jeune — ne connaît cette période que par ouïe dire.

A Vilnius, à ce que j’ai vu, tous les jeunes parlent couramment anglais. Par contre les personnes plus âgées, entre autres les employé(e) des commerces, ne comprennent que le russe. Mais de mon côté ja nié gavariou pa-russky. Alors je me débrouille avec les mains, comme en Italie, sauf que io parlo abbastanza bene l’italiano.

Mais revenons à notre band de métèques ricains, si vous le voulez bien. Ce deuxième morceau est plus cantabile que le précédent et propose de fort beaux solos de ténor, de soprano et de contrebasse avant ou après que la vocaliste a chanté d’une belle voix au timbre somptueux.

Ce groupe possède un son personnel totalement convaincant et d’une grande richesse. Cela n’a rien à voir avec le Brooklyn sound dont on nous a bassiné dans la mouvance Dave Binney-John Hollenbeck (pour faire court) et qui a connu de belles réussites mais a tendu à devenir un brin hégémonique à mon goût.

Ici l’engagement socio-politique n’a rien de branchouille ni de bobo. Le morceau suivant, introduit par un petit discours vibrant applaudi par l’auditoire, est dédié aux victimes de la justice raciste des USA, et c’est une belle mélopée répétitive et enveloppante, soutenue par l’harmonium et tout le groupe, qui s’élève dans le Théâtre de Vilnius. Une mélopée intense qui se prête au recueillement, surtout quand le soprano — l’instrument le plus aigu — prend un magnifique solo lyrique à souhait sur fond de basse continue du reste du quintet. Franchement c’est à chialer d’émoi et d’émotion sans retenue ni modération. Et quand la voix d’Amirtha Kidambi se remet à chanter, des paroles cette fois-ci, elle apaise la tension et pousse le tout vers une sorte de swing rédempteur. « Salauds de Ricains : ils viennent jusque dans nos bras faire pleurer nos fils, nos compagnes », doivent se dire in petto les Lituaniens, qui sont — paraît-il les Italiens de la Baltique (ce que je confirme du haut de mon mètre 78 chaussé de 45 fillette).

Bon, ça commence à bien faire ce mieux disant émotionnel. Ma parole on se croirait aux JO quand Teddy Riner ou le « roi » Léon mettent la pâtée à des étrangers qui, comme chacun sait, ne sont pas des gens comme nous. « Va donc, eh, motion ! » a-t-on envie de clamer, en bon cartésien qui ne mélange pas l’âme et le corps — lequel, au passage, commence à avoir faim : j’y peux rien c’est mon métabolisme de fou furieux qui me flanque en hypoglycémie toutes les 2 ou 3 heures. Ne le dites pas à des confrères jaloux mais, quoiqu’ayant atteint un âge vénérable, j’ai gardé le rythme (et le tempo) du biberon. On n’se refait pas !

Mais dis, gars Quénum, t’es pas censé nous parler d’un quintet de splendides Ricains métissés au lieu de raconter ta vie dont tout le monde se fout pas mal. Z’avez raisons les gras, les filles. Je redescends à la mine (de crayon) et je vous raconte la fin de ce très beaucoup beau second concert du jeudi soir vilniussoïde.

Le dernier morceau est une sorte de slam déclamé sans harmonium accompagné par un quartet inspiré (contrebasse à l’archet, batterie pointilliste, souffleurs soufflants) qui se poursuit en cris et ricanement pseudo-sataniques (un peu d’humour aussi, donc). Puis l’harmonium se rappelle à notre bon souvenir, tandis que la voix chante à gorge déployée suivie par un sax ténor rauque à souhait qui alterne honks et shrieks suivi du soprano qui pépie en souffle continue.

Bon, c’est trop beau : je vais soulager ma vessie prostatique et alléger ma charge mentale !

Troisième soir

Le vendredi soir c’est la foule et le Théâtre est archi plein.

Par contre la musique du premier groupe, un trio lithuanio-nippon, est pleine de vide, ou plutôt de silences, ce qui est plutôt reposant pour ma pomme, puisque je viens de donner dans l’après-midi une conférence sur « L’art des arrangeurs » à un public clairsemé mais attentif dans l’auditorium d’un beau musée tout neuf, à deux pas du Théâtre. Ne soyez pas jaloux, ami(e)s lecteurs/trices : cette conférence, je la referai en tranches d’une demi-heure sur Couleurs Jzz Radio avant peu.

Donc ces deux Japonais aux percussions et électronique et cette pianiste lithuanienne font une musique qui ressemble un peu à du Federico Monpou : beaucoup de silences, quelques notes et un peu de bruit. Clairement pas ma tasse de thé ni mon godet de saké, je vais donc finir de fumer ma pipe dehors où une putain de pleine lune risque de faire sortir les loups garous des buissons parsemés de feuilles mortes aux couleurs autrement chatoyantes que la musique du premier trio de ce soir.

Le deuxième groupe, le Kondo Tatsuo K3, commence mieux — tout en restant tranquille — par le magnifique « Vashkar » de Carla Bley, joué par un piano lumineux, mélodique et paisible. Ca fait du bien d’entendre cette musique qui fait chaud au cœur, loin de l’aridité des précédents. Et quand le son enfle, tout en gardant le même tempo moyennement lent, on entend un son de groupe fort intéressant au sein duquel le tuba, au lieu de la basse, occupe une place inédite et tout à fait pertinente. Dans le morceau plus abstrait qui suit, le batteur-percussionniste donne la mesure de son art coloriste tandis que le tuba gronde et que le piano plaque des accords dans les graves du clavier.

Kondo Tatsuo  ©DK foto

L’énorme « Special Big Band » japonais qui termine la soirée est tout à fait passionnant car il puise son inspiration dans le rock, la pop, la musique classique et le free jazz. Un mix assez bluffant où les effets de masse dominent par rapport aux soli. De belles textures et dynamiques sonores, une pâte et une patte très originale, un instrumentarium varié et éclectique où voisinent l’accordéon, le vibraphone, le tuba, la basse électrique, deux batteurs et un percussionniste, sans parler des soufflants, etc.

Comment Vilnius Jazz peut-il programmer une phalange si nombreuse et venant de si loin ? Je vais le demander à Antanas, mais ces Nippons sont en tournée européenne et les lieux qui les accueillent doivent se partager les frais de transport. Par ailleurs ces Asiatiques sont à Vilnius depuis quelques jours avec leurs familles dans le même hôtel que moi et cette virée doit être pour eux en partie touristique. En tout cas, quel autre festival européen propose-t’il à la fois des Japonais et des Australiens ? Allez, donnez-moi des noms. J’attends !

Dans la petite capitale d’un petit pays balte, la programmation est plus inventive, curieuse et audacieuse que dans maints grands raouts français, et le Théâtre de Vilnius est plein à craquer d’un public dont la moyenne d’âge est nettement inférieure à celle de nos festivals hexagonaux.

Et le concert se termine par un air de fanfare suivi d’un hymne profond comme la mer de Chine peuplée d’îles elles-mêmes semées de temples zen.

Ces foutus Nippons m’ont rappelé les glorieuses heures du Willem Breuker Kollektief, des orchestres de my main Man Mike Westbrook, du Globe Unity Orchestra, des orchestres d’Alexander von Schlippenbach, ce qui ne nous rajeunit guère mais qu’importe ! Ca fait grand bien de savoir qu’au pays du soleil levant on continue et prolonge cette tradition à la fois rigoureuse et libertaire qui n’a pas pris la moindre ride, le tout avec le sourire, pas mal d’humour et un plaisir de jouer contagieux qui pousse le public à hurler sa joie et à se lever comme un(e) seul(e) homme/femme pour une ovation debout plus que méritée.

Otomo Yoshihide

Retenez bien le nom (Otomo Yoshihide) du leader de cette troupe inventivo-ludique, et ne tardez pas à prendre votre billet pour Tokyo. Mais qu’attendez-vous ? Vous devriez déjà être à la porte d’embarquement de CDG !

Quatrième soir

 Un peu moins de monde en ce samedi soir où le style joué est plutôt le free/post free européen, ce qui suscite moins de curiosité que les Asiatiques si jeunes et déjà…ponais (Hi !Hi !Hi ! Qu’il est con ce Quénum ! Mais où, par tous les diables, va-t’il chercher cet humour aussi niaiseux que désopilant, on s’le d’mande.)

Le quartet qui débute est anglo-lituanien et propose un jazz mi-pêchu mi-abstrait qu’on a beaucoup entendu ces trente dernières années : piano/sax alto/batterie/électronique.

Je ne suis pas grand fan des bidouillages sur laptop mais c’est supportable et le manipulateur de Mac reste assez discret. Le plus intéressant des quatre est, selon moi, le batteur dont le kit est enrichi de timbales d’orchestre et de diverses percussions mélodiques, ce qui confère à son jeu une couleur bienvenue en sus d’une évidente polyrythmie.

Il est d’ailleurs le seul à bouger et à investir l’espace, se déplaçant de droite à gauche selon les instruments dont il se sert tandis que ses compères restent droits dans leurs bottes au piano, au sax, au Mac.

Leur musique, quoique bien jouée, n’a pas grand charme et on sent trop, à mon goût une volonté de recherche partiellement intellectuelle. Bref ça manque un peu de chair, fraîche ou non.

Ce qui suit, je l’attends avec impatience car j’aime beaucoup John Butcher, le leader du projet, et il inclut my main Man, Liudas Mockunas (que je connais depuis une vingtaine d’années) aux saxes et clarinette, que j’ai vu il y a quelques jours au Triton des Lilas, en duo avec my main Man Marc Ducret, le seul guitariste français à avoir été adoubé par des musiciens étatsuniens tels que Tim Berne.

John Butcher ©Vygintas Skaraitis

Le concert du Lithaian Project commence par un bruitage assez confus mais plein de petites bribes de semi-mélodies, dont on sent qu’il va produire moult pépites sonores d’ici peu.

Une plage de quasi-silence est suivie d’une sonorité stridente en partie due aux effets électroniques et d’où se détache la voix grinçante de la vocaliste française.

Tout ceci produit un effet de suspense car on attend que l’ensemble du groupe ait l’occasion de s’exprimer.

C’est maintenant le violon qui se détache, par de petits traits d’archet, de cette bouillie sonore assez intéressante. Puis le tuba entre en scène tout en douceur tandis que le son enfle et que quelques autres soufflants le rejoignent. Il semble clair qu’il n’y aura pas de véritables solos.

Mais peu importe car on est emporté par cette sonorité d’ensemble à la fois dense et fluide, touffue et ductile que le public écoute avec une attention intense et un total recueillement. Mais je m’es gouré : voilà que le sax ténor prend un chorus ! Interesting, niet ?

D’autant qu’il module avec tendresse avant de passer aux growls répétitifs puis aux slaps. Après une courte plage de silence, l’ensemble tout entier entonne une sorte d’hymne bruitiste qui se gonfle en puissance. Suit un mini solo de tuba puis de nouveau de ténor par Liudas — que j’aurais aimé entendre plus longtemps.

La contrebasse a aussi son mot à dire et le fait bien, tout en douceur, et le sax sopranino de Liudas lui répond en jolis petits traits aigus, mais pas trop. C’est tout à fait ce que je voulais entendre de ce saxophoniste majeur, pas encore assez connu dans l’Hexagone. Et quand le soprano du ténor de tout à l’heure lui répond on voit (entend) qu’ils partagent la même esthétique free-lyrique.

L’ensemble reprend ensuite en entier avec Liudas de nouveau au ténor. Bon, John Butcher a bien eu raison de mettre ce souffleur en vedette. Il est à mes oreilles le plus intéressant du lot, sans toutefois tirer exagérément la couverture à lui car il est entouré de partenaires de premier ordre.

Le public, pourtant se clairseme peu à peu et ce sont surtout des jeunes qui partent. Sans doute ce type de free jazz est-il trop trop pour eux.

Il y a des chances par contre qu’on les retrouve plus tard dans la soirée au club où une jeune scène peut s’exprimer, mais où la qualité de la musique, à ce que j’ai pu entendre avant-hier, est nettement plus faible, quoique conviviale. Je m’y rendrai néanmoins plus tard ce soir car dans le premier groupe joue une jeune bassiste allemande que j’ai rencontrée hier et que je n’ai évidemment jamais entendue. 

Certain(e)s se demanderont sans doute : “Mais que fout ce FFJJ (F…in’ French Jazz Journalist à Vilnius ? » Ben la réponse est simple : la ville est magnifique (il ne manque que la mer), la population est grave cool et accueillante, le festival est un des meilleurs d’Europe dans le genre modern to free pas chiant pour 1 sou, Antanas Gustys — le boss et créateur de l’évènement (tiens, le correcteur de mon MacBookPro ne sait pas encore que maintenant on a le droit d’orthographier ce mot comme il se prononce, et plus avec la graphie débile avec 2 accents aigus) à l’époque où la Lituanie était encore sous domination russkoff est un des directeurs de festivals les plus sympas et compétents que je connaisse et je vais bientôt prendre un bagage en soute sur Air Baltic pour lui apporter une caisse de Morgon et de Moulin à Vent, au lieu de la simple bouteille de bon rouge que j’ai pécho dans la zone duty free de CDG accompagnée de quelque petits macarons.

Et de ce fait (je parle là de la compétence d’Antanas et pas de mes cadeaux aussi franchouillards que délicieux) la musique est constamment variée et la plupart du temps super intéressante, voire émouvante.

Ca vous suffit comme raisons ? Non ? Alors j’ajoute que cette petite capitale propose une variété impressionnante de restos de tous bords (Arménien, Ouzbek, Ritals — bien sûr — etc. et Lituaniens évidemment, chez qui la soupe est populaire sans être prolo et hachement variée.

Et maintenant, je vous prie, laissez-moi écouter en paix la zik du jeune groupe assez free et excellent, featuring ma nouvelle potesse bassiste berlinoise.

Ces jeunes ont tout compris du free historique plutôt US qu’Européen et ils/elle se l’approprient de façon intelligente et sensible. Je ne suis pas sûr que j’achèterais un de leurs CDs, s’ils en avaient et encore moins que je l’écouterais en buvant mon pamplemousse pressé matinal suivi d’un triple espresso ristrettissimo, mais là, en live avec une bonne bière locale, c’est tout à fait écoutable et ça ne demande qu’à mûrir. Seul leur manque peut-être la petite dose d’humour que certains de leurs aînés européens savaient injecter dans leurs dérives.

Et Izzy, la bassiste est vraiment excellente — et je ne dis pas ça par complaisance copinarde. Vous me connaissez un peu, non ? Ce n’est clairement pas mon genre et mon impartialité — que le monde m’envie — m’interdit de me laisser aller à un sentimentalisme de bas étage. D’ailleurs les deux saxes (soprano et ténor) ne sont pas mauvais non plus et le batteur est vraiment bon. Allez, un petit test, les gamins : terminez votre set par une bonne vieille ballade de derrière les fagots qui nous mettra la larme à l’œil, qu’on rigole un peu !

Wishful thinking, comme disent les Rosbif/Hamburger : je prends mes désirs pour des réalités, en Français, et mes désirs font désordre dans le désordre sonore organisé de ce quartet lituano-germain. Patience et longueur de temps… disait Jean de La Fontaine. Or j’ai tout mon temps, et je les attends au tournant 1 2 C 4 voir plus tard.
Mais justement il se fait tard et mon corps comme mes oreilles aspirent au repos, d’autant plus que — comme souvent — le concert est à peine terminé qu’on nous balance une musique merdique et forte qui ne permet pas de savourer les relents et les bribes de ce qui s’est joué live on stage. Faich’ cette manie de ne pas supporter le silence après la zik. Bref, partons !

Cinquième soir

Pour le final de Vilnius Jazz, Antanas a programmé en première partie le pianiste cubain Aruan Ortiz, que je ne connaissais que par les disques qu’il a enregistrés en trio ou au sein du quartet du saxophoniste étatsunien James Brandon Lewis, mais que je n’ai jamais entendu live, et donc jamais en solo.

Aruán Ortiz ©Photo Vygintas Skaraitis

Ce sera donc le seul concert de piano solo du festival, et Ortiz le débute tout en douceur et sans la moindre allusion à ses origines cubaines.

Car après tout on n’est pas obligé de jouer des airs celtiques à la bombarde parce qu’on est born & raised en Bretagne ou de la cabrette parce qu’on est natif du Puy de Dôme où on a passé ses loisirs à faire paître les bœufs Salers et à traire leurs sœurs, mères et cousines avant de déguster leurs steaks saignants avec de l’aligot à gogo, non ?

Aruan, donc — que je suis allé saluer en loge avant son concert et qui en a profité pour m’emprunter une de mes baguettes de batterie-percussion (car quand on veut essayer d’être un batteur-percu pas trop mauvais on ne se sépare guère de ces bouts de bois terminés par une olive non comestible).

Tous les pianistes cubains que je connais ont commencé leur apprentissage par les percussions — et, si vous ne le saviez pas, le piano est aussi un instrument de percussion et il fait partie de l’attirail des percussionnistes d’orchestres symphoniques avec les timbales d’orchestre, le triangle et autres clochettes — et voilà que le piano d’Ortiz gonfle en accords plaqués des deux mains sur un rythme de plus en plus rapide mais toujours pas cubain.

Ce pianiste est avant tout un musicien de jazz et il a entre autres étudié avec feu Muhal Richard Abrams, l’un des plus éminents membres de la fameuse AACM de Chicago. Et voilà qu’il enchaîne maintenant des notes perlées très percussives dans les aigus du clavier : une véritable averse de petites perles sonores qui se raréfient bientôt en laissant entre elles des silences qui, comme chacun sait, sont toujours de la musique.

Et le concert progresse sans solution de continuité en introduisant de jolies petites mélodies d’une main droite alerte et syncopée tandis que la gauche plaque des accords puissants mais jamais lourds avec un sens de l’inattendu qui frise l’aléatoire tout en dénotant un sens aigu de l’harmonie.

Ce n’est pas du tout cubain mais en même temps qui d’autre que ces insulaires caraïbes hispanophones est capable d’un placement rythmique aussi aiguisé et bluffant ?

Allez, j’attends une réponse !

Vous préférez une interro écrite dans quinze jours, le temps de préparer vos antisèches ? Pas moi ! Autre chose à faire.

Et maintenant Ortiz sollicite l’entièreté de ses 88 touches pour alterner accords graves somptueux plaqués d’une main gauche de fer et bribes mélodiques répétitives dans le medium à la main droite. C’est une véritable coulée torrentielle d’une densité harmonico-mélodique impressionnante, et le piano résonne puissamment dans un Théâtre quasi-comble. 

Ah, voilà qu’il se sert de ses mains et de ma baguette dans la table d’harmonie. J’aurai donc au moins servi à autre chose qu’à boire des bières et à écouter de la zik pour écrire dessus pendant ce foutu festival festif et enchanteur !

Et voici qu’apparaissent des bribes d’un thème de Thelonious Monk sous les doigts du Cubain, qui ne fera qu’esquisser la mélodie pour en explorer les harmonies et les transcender à sa sauce (piquante ?), une sauce savoureuse, épaisse et baignée de la tradition monkienne sans être, même à peine, traditionnaliste, tant le répertoire de l’Ermite harlémite est riche de potentialités au sein desquelles les musiciens modernes et contemporains peuvent puiser sans modération.

Et c’est en revenant à sa douceur initiale qu’Aruan Ortiz, du bout des doigts, achève avec une tranquille sérénité un récital magistral que le public Lituanien a suivi avec recueillement, et qui a sans doute cloué de plaisir et de ravissement tous ceux et celles, présents dans le Théâtre, qui ont un jour, de près ou de loin, touché les 88 touches d’un piano acoustique, votre serviteur compris.

L’ensemble qui suit, le LEN Ensemble, dont le projet se nomme « Louis Andriessen-M is for Man », est en partie classique-contemporain et les musiciens entrent en scène un par un en s’ajoutant à une rythmique répétitive du piano et de la contrebasse qu’ils enrichissent timbriquement en gardant le même rythme et tempo.

C’est très impressionnant sur le plan sonore et le chef d’orchestre les dirige d’une battue syncopée fort agréable à suivre visuellement. En fait l’Ensemble — à part la paire piano/contrebasse — est uniquement composé de souffleurs : anches, flûte et embouchures. Onze en tout qui jouent avec la rigueur habituelle des musiciens habitués à ce genre de musique si exigeante en termes de justesse et de mise en place. 

Lens Ensemble

Mélodiquement parlant c’est assez beau et bluffant de précision et de couleurs sonores. Et quand ils se mettent tous à chanter des la la la rythmiques on commence à remarquer qu’une dose d’humour s’est infiltrée dans cette musique si rigoureuse par ailleurs. Bon d’accord : ce n’est pas du jazz, et même pas du tout — bien que rythmiquement ça puisse s’en rapprocher un peu. Mais c’est quand même mieux que certaines excursions vers la world music ou la variétoche que moult festivals de jazz français se permettent pour remplir leurs salles.

Ce qui suit est un petit extrait d’images d’archives en noir et blanc montrant, en s’en moquant, Mussolini en plein discours. C’est un peu long d’autant qu’une des phrases du Duce est répétée en boucle pendant plusieurs minutes sur une image fixe de son visage, jusqu’à ce que l’image se brouille puis disparaisse tandis que la phrase répétitive est remplacée par un long — trop long ! — grondement sourd.

C’est bon : on a compris que le Duce était un bouffon et le fascisme une triste et tragique pantalonnade sanglante. Mais on nous prend un peu pour des cons à répéter ça en boucle et si longtemps, pour finir par le début de la musique du « Ainsi parlait Zarathoustra » de Richard Strauss.

Entre-temps les zicos sont revenus sur scène avec en bonus une chanteuse au timbre aigu et crissant qui psalmodie dans une langue que je n’ai pas identifiée tandis que sur l’écran géant défilent des images muettes de danseuses nues puis d’une sorte de soupe populaire. Pendant cela les musiciens parodient du Mozart de façon assez convaincante avec des sonorités claironnantes de fanfare.

Sur l’écran ce sont maintenant des images d’ouvriers au travail, puis apparaît une sorte de cadavre puis l’image d’une chanteuse muette tandis que la chanteuse live de tout à l’heure est revenue avec une voix plus claire et nuancée.

Les ouvriers, sur l’écran, sont devenus des sortes d’ilotes nus qui malaxent et maltraitent un corps nu allongé qui s’anime peu à peu jusqu’à s’asseoir puis se lever et danser doucement. L’esthétique ressemble pas mal à celle de l’Egypte ancienne et, quoiqu’un peu morbide, c’est visuellement assez beau et devient rapidement une espèce de comédie musicale muette tandis que la voix live et les musiciens adoptent un ton de fanfare cubiste puis chantent une comptine enfantine enjouée.

Et maintenant ils entonnent un air à la Nino Rota sur des images mouvantes qui ressembleraient un peu à du Fellini en noir et blanc.

Fin de la projection sur écran géant. Seule reste sur scène la musique qui est devenue élégiaque et magnifique de nuances mélodiques. Et quand la voix soliste reprend son chant, d’une douceur extrême, c’est comme un baume bienfaisant après le déluge d’images brutales et assez éprouvantes. « De la musique avant toute chose… » disait Verlaine. Après c’est bien aussi !

Et ainsi se termine la 37ième édition de Vilnius Jazz qui aura été encore plus intéressante et variée que celle de l’an passé. Et l’automne prochain… devinez… Antanas me confie que, dans la foulée de la saison culturelle franco-lituanienne de 2024, Vilnius Jazz 2025 fera un bon gros focus sur la scène jazz française contemporaine. Alors, chers lectrices & lecteurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire… A ch’val ? Ben non, pardi :

  • demander à votre larfeuille de mettre des sous de côté à partir de toot sweet
  • investir dans un A/R Vilnius et dans un B&B ou un hôtel du même métal, et vous préparer spychologiquement à kiffer grave en ouïssant des groupes bien d’chez nous en partie métissés de zicos lituaniens.

Ceci n’est pas un conseil mais un ordre. Comme d’hab’.

Quelques semaines après Vilnius Jazz avait lieu à Strasbourg, dans le cadre de la saison culturelle franco-lituanienne, un concert… franco-lituanien : un avant-goût de Vilnius jazz 2025.

 

Blaser/Ducret/Mockunas + Improdimensia Orchestra feat. Marc Ducret & Liudas Mockunas @ Strasbourg, Cité de la Musique 09/11/2024.

La grande salle de l’Auditorium de la Cité de la Musique de Strasbourg est à peine à moitié pleine pour cette soirée franco-lituanienne, ou lituanio-française si vous préférez (Ah, vous préférez. Alors d’acodac !). Ce n’est pas ça qui va empêcher le trio lituanio-helvéto-frenchy de Liudas Mockunas (s/cl), Samuel Blaser (tb) et Marc Ducret (elg) d’envoyer dès le premier thème une purée épaisse (Oh, puuuurée de nous autres ! A quelle(s) sauce(s) vont-ils nous bouffer ces mthrfckrs de leur mère ?). Comme toujours avec ces trois-là, c’est complètement mélodico-free car — je l’ai dit moult fois et je le re-serine sans le moindre complexe ni vaine pudeur — ce sont des CHANTEURS de FREE ! (Putain — j’veux dire fichtre-foutre-chiasse de bordel aqueux —, vous allez m’écouter un peu ou faut que je vous le gueule au creux des tympans (Tiens, pan ! pan ! t’es dead mon gras, ma fille !). Alors ce qu’on écoute, outre les jolies petites (pas si petites, en fait) mélodies, c’est leur foutu son de band. D’autant que ce sacré Liudas a apporté plusieurs saxes (pas des vases de Saxe, ni la vase espagnole du sud qui semble avoir épargné le Guadalquivir — le grand fleuve dont le nom originel est oued el k’bir : en Arabe fleuve le grand — ni en cristal de Bohème ou en porc ce laine de Limoges…) dont un sax sopranino et un sax basse : ce magicien des anches maîtrise toutes les anches de sax et de clarinette, c’est clair et net. Et là il déroule la mélodie au soprano tandis que ses deux sbires patibulaires lui tressent un filet d’accompagnement super soft et très beaucoup subtil. Un filet, j’ai dit, pas un gilet pare-balle parce qu’il n’en a pas besoin vu que c’est un tueur doux-dur et que ses gardes du corps dont il n’a pas besoin puisqu’ils n’en sont pas, sont eux-mêmes des tireurs d’élite qui vous sortent du lit, du lithium et des délits — dont vous êtes évidemment coupables. Allez, je vous connais et on ne me la fait pas à moi ! Là ils jouent trois lignes mélodiques parallèles, Liudas à la clarinette et c’est tellement beau que j’ai la gorge qui se noue et des tears qui me picotent les noeils. Liudas, seul au ténor rageur bientôt rejoint par les deux autres en lignes mélodiques à l’unisson. Puis Samuel sort la sourdine en solo et c’est une série de wah wah wah graves puis plus aigus pour continuer sans sourdine en affirmant qu’il est le plus grand tb de sa génération au Monde, et pluche si affinités. Les deux autres l’ont rejoint puis c’est au tour de Marc de soloter en solo avec sa foutue gratte customisée par son luthier qui lui en a offert 5 ou 6 et pas pour jouer en 5/4 ou en 6/8. La guitare miaule tendrement et tout doux et par instants j’ai entendu le « O Gelsomina » de « La Strada » de Nino Rota, mais peut-être me suis-je fourvoyé tant mes esgourdes sont saturées de beau son (et pas de boxon, car s’il y a 1 bordel quelque part ici c’est uniquement dans ma grande gueule qui jure à too boo d’champ. Liudas est maintenant au ténor et il chante une mélodie répétitive enchanteresse et les deux autres lui foutent une paix royale et l’écoutent attentivement avant de le rejoindre en lignes parallèles et quasiment contrapuntiques. Des TUEURS, je vous le disais et comme ils composent tous les trois je sais plus de qui est tel ou tel morceau. Si, là c’est un thème de Marc où affleure brièvement le 2/5/1 du « Giant Steps » de Coltrane. Et c’est Ducretqui prend le premier  solo (à tout saigneur…) Oh Seigneur (en qui je ne crois point) prends-nous en pitié car ta mansuétude est grande et nous, pauvres pêcheurs de sons, sommes là, cloués sur nos putains de sièges à laisser la bave nous couler au coin des lèvres et on n’a même pas de couches-culottes faciales. Au secouuuuurs ! A l’aide ! Ils vont nous tuer et nous incinérer dans le chaudron en fusion de leur free-sonnant. Ils n’ont aucune pitié. L’armée russe + israélienne, à côté d’eux, ce sont des amateurs gentillets et petitement burnés. Mais que fait la police ? Ben elle récolte les prunes des radars et laisse les SUV squatter les pistes cyclables, comme d’hab’, caisse tu crois, Quénum ? T’es vraiment un gros naïf, parole donneur (d’organes post-mortem, mais on t’M bien Kant m’aime — et Nietzsche, Spinoza, Stirner et Morin encore pluche, par tous les Kropotkines dont « La morale anarchiste » coûte 4€). Bon ils ont dit que l’espèce d’hymne qu’il entonnent à gorge déployée était le dernier morceau. Mais ce sont de fieffés menteurs et y’aura un rappel, sûr de chez… Sinon je ne donne pas cher de leurs peaux de bêtes en appel au Tribunal de Grande Instance (chat, viré !).

Ensuite, c’est un petit Grand Orchestre (12 instrumentistes, dont les deux co-leaders/co-compositeurs Marc et Liudas) nommé Improdimensia Orchestra qui occupe la scène. Ils commencent par des effets de souffle dans les anches et embouchures sur un rythme syncopé assez aléatoire. Puis la contrebasse de Bruno Chevillon, le piano d’Arnas Mikalkénas et la batterie de Peter Bruun entament une très belle mélodie en trio qui s’enfle, s’enfle pour devenir un hymne joué par l’ensemble où je crois (de nouveau) entendre le 2/5/1 se Coltrane et où le sax baryton puis l’alto chorussent free l’un après l’autre avant de laisser place à la guitare fureteuse de Marc et au ténor généreux de Liudas. Quand ça se calme un peu c’est la flûte qui prend le relais, accompagnée par la contrebasse, la guitare, la batterie et le tuba. Puis l’ensemble entame une sorte de rock déjanté.

Et le rappel est évidemment très doux : guitare et piano puis flûtes et autres souffleurs très mélodiques.

Bon, ben z’avez compris : la Lituanie est un petit grand pays du jazz européen, et si vous ne venez pas à Vilnius en octobre prochain, je le saurai et je vous gronderai très sévèrement, ce qui vous sera évidemment insupportable et vous minera le moral ad vitam.

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