« Qui Qu’en Grogne » est une expression française du Moyen-Âge par laquelle l’auteur d’un acte répondait à ceux qui élevaient des protestations contre cet acte. Elle signifie « Que vienne m’affronter celui que cela dérange ! ».
Mais pas du tout cher Monsieur Yannick Rieu ! Bien au contraire, qui voudrait ou oserait vous chercher noise ? Des gueux qui n’entendraient rien à votre art ? Des oreilles bouchées hermétiques à la musique et au jazz en particulier ?
En ce qui nous concerne, vous obtiendrez uniquement bienveillance, admiration, voir allégeance !
Car votre musique swingue avec une délicatesse qui ne provoque chez nous qu’ébaudissement.
©Photo Randy Cole
D’ailleurs, le titre d’ouverture et éponyme de ce superbe album, dès les premières mesures provoque immédiatement un sourire qui ne cesse de s’élargir sur les visages des auditeurs (je vous invite à faire l’essai chez vous). On commence par une jolie rythmique, celle de la contrebasse de Guy Boisvert avec les balais caressant les fûts de la batterie de Louis-Vincent Hamel, bientôt rejointes par le toucher léger au piano de la jeune Gentiane Michaud-Gagnon.
Entre en scène le 4ème larron, leader de ce quartet, homme et musicien d’expérience -réputé selon nos confrères Américains, comme faisant partie du top 20 des saxophonistes qui comptent de par ce monde – Yannick Rieu dont le son du saxophone, suave et très personnel, nous indique que l’on va passer là un moment superbe, fait de découvertes et de délectation.
Comme je le dis souvent après m’être occupé de rugby tant d’années, le retour aux fondamentaux, ici du jazz qui swingue, ça fait forcément du bien. Ce retour aux sources est d’ailleurs la volonté même de Yannick Rieu qui a voulu cette formation en quartet classique : piano, basse, batterie et saxophone bien sûr.
L’autre idée était de confronter deux talents émergents avec deux vieux briscards du jazz, bien connus de nos services et si souvent loués sur Couleurs Jazz Media et Couleurs Jazz Radio, pour nous proposer un jazz pur, à l’écriture claire, fait de mélodies assez simples au départ, mais laissant les portes grandes ouvertes sur l’improvisation. La liberté et la raison d’être du jazz, en somme.
Laisser aller son imagination, se développer sa spontanéité, créer une énergie grâce au collectif ; c’est le mode d’emploi de ce bel objet avec vue sur la forêt canadienne. De vraies conversations, s’instaurent alors. L’expression des sentiments que l’on n’oserait peut-être pas vivre avec autant d’intensité si l’on ne disposait comme outils que des mots. Les notes de musiques, les silences et les rythmes servent décidément à traduire avec force les émotions les plus profondes et parfois même primitives.
Qui Qu’en Grogne est fait d’un jazz qui n’est pas seulement agréable dès la première écoute, non, il vous interpelle aussi, il vous fait dresser l’oreille, même la plus avertie, celle qui a tant entendu déjà, car l’accent est mis sur la création et l’innovation. Ici pas de standards maintes fois revisités, souvent avec beaucoup de talent, certes. Il s’agit là de créations, par des compositions enlevées, laissant la bride sur le cou des improvisateurs de talent qui semblent en redemander.
Donc forcément, on s’attache et nous aussi on en redemande ! Déjà à réécouter plusieurs fois, comme on le fait pour un poème qui nous émeut et dont on ne saisit pas forcément toutes les nuances à la première audition.
Laissons la parole à l’auteur, Yannick Rieu :
Le temps, tout à coup, donne l’impression de s’être dilaté, il est comme suspendu, a pris un autre visage. Une bulle. Un cocon. Tout est simple. L’incroyable privilège de pouvoir être totalement immergé dans le jeu – on joue la musique -, celui-ci étant son moteur, cette courroie de transmission permettant ce saut dans un autre monde. C’est la sève accompagnant la volonté de « se faire fleurir », s’épanouir pour mieux donner. Oui, on joue pour offrir.
Voilà, pour moi, l’ultime but. Partager. Donner. Offrir. Être aux petits soins pour cette modeste offrande qu’on voudra tout de même digne de cette passion qui nous habite.
Jouer la musique, improviser: raconter une histoire, construire des ponts, des passerelles, aller vers l’autre, faire dérouler une action d’où le mouvement est absent, amener le spectateur à voyager dans une autre dimension. Le prendre par la main? Jongler avec les extrêmes : tension, détente et toute la gamme des possibles qu’offre ces deux pôles, cris de joie, de désespoir ou suaves chuchotements, tirer l’élastique de la raison par des chemins qui sortent du temps de l’état de veille.
Observateur dépourvu de centre, acrobate du temps, voyageur de l’instant. Surprendre mais sans décontenancer, susciter le désir d’en savoir plus, de faire dire à l’auditeur: ah oui? Et après? Et dans le meilleur des cas: encore!
« Qui qu’en grogne », au moyen-âge, cris de guerre des marins corsaires ou encore inscription qui apparaissait sur maints ouvrages fortifiés médiévaux afin de tenir en respect le village ou la ville où ils étaient édifiés. Qui qu’en grogne, le nom du bateau où j’ai passé une partie de mon enfance.
Eh bien voilà, tout s’explique… ou en partie : Yannick Rieu est aussi un marin.
Et selon le mot d’Aristote : Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer.
J’en ajouterai une 4ème, pour rendre hommage à ce superbe Generation Quartet : il y a les musiciens aussi.
Personnel :
Yannick Rieu – saxophones, compositions
Gentiane Michaud-Gagnon – piano
Louis-Vincent Hamel – batterie
Guy Boisvert– contrebasse
Qui qu’en grogne est « Hit Couleurs Jazz » il est en sélection sur Couleurs Jazz Radio.
Il est produit sous le label Yari Productions et distribué au Canada par Effendi Records.
Yannick Rieu et son Generation Quartet donne des concerts dès le 29 avril au Québec pour la sortie de son album. Nous l’espérons en France à Paris et près de Château Palmer à l’automne prochain avant de partir pour une tournée internationale qui le conduira jusqu’en Chine, probablement.
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