J’affirme ici, haut et fort, que Tricia Evy est une grande voix du Jazz … et comme elle le prouve avec la sortie de « Usawa », elle est également une grande voix de la biguine.
MAIS !
La réduire en un formidable organe vocal, aussi beau et talentueux soit-il, serait simpliste.
C’est bien le critère majeur à The Voice, non ?
Comme me le confiait l’autre soir, Leo Rondon, illustre et prodigieux quatriste Vénézuelien, « Tricia possède une incroyable musicalité en elle ». Une sorte de 6ème sens musical. Vous voyez de quoi je parle ?
C’est entendu : le timbre, la douceur, le scat, les murmures, le rauque qui évoque le Louis Armstong des grands soirs. Tout est là : technique parfaite, sens du spectacle, générosité, humour. Un formidable transmetteur d’émotions.
Mais Tricia possède tant d’autres qualités que je découvre à chacune de nos rencontres, lors d’une conversation téléphonée, lors d’un concert dans lequel elle interprète Brassens comme personne (et croyez-moi, je suis un profond connaisseur de Georges).
Elle a des mélodies à chanter et autant d’idées à exprimer ; autant de combats à mener avec une profonde conscience, vive et claire.
Elle n’est pas seulement une chanteuse, mais une personne toute entière engagée, ce qui n’est pas la même chose. La condition des femmes, la condition des noirs encore aujourd’hui, l’esclavagisme pas si ancien, notre société, notre planète, mais également la littérature, les pépites de la vie, les raisons de rire ensemble…
À cette occasion, écoutez l’interview qu’elle donna à Couleurs Jazz récemment :
« Usawa », l’équilibre en swahili. Certes, c’est l’équilibre entre les inspirations de cet album, entre biguine et jazz donc. Une façon joyeuse d’affirmer ses origines guadeloupéenne et martiniquaise, en interprétant les plus subtiles mélodies de ces deux îles, pour la plupart inconnues de notre monde parisien. Un véritable enchantement : « Moin ka senti an Love », « Jou Ouvè », « Doudou pas gentille »…
Le jazz et la biguine n’ont ils pas une histoire commune, intimement liée à l’Histoire du peuple noir.
Un ravissement !
Aussi, la reprise de standards du patrimoine du jazz : « Take the A Train », « The Thrill is Gone », « On the Sunny side of the Street » est davantage une réappropriation pour mieux nous faire redécouvrir ces joyaux. Grâce à ses qualités d’arrangeuse, qu’elle dispute aux talents de son complice en la matière, David Fackeure ; elle insiste sur ce point : qu’à César, son œuvre soit rendue ! Ces standards sont une nouvelle œuvre à part entière. Elle nous donne à aimer une fois encore, ces mélodies qui sont autant de madeleines de Proust.
C’est bien là le charme et le suc du jazz, non ? Arranger et réinterpréter toutes sortes de musiques pour notre plus grand enchantement. Et c’est d’ailleurs souvent dans l’interprétation de standards que l’on peut comparer, juger de la qualité d’un artiste de Jazz en tant qu’arrangeur et interprète.
Nous sommes là, en ce domaine, servis ! D’abord par Tricia elle-même, puis par son frère, son ami comme elle le qualifie : David Fackeure au piano.
Quelle complicité, quel interplay, quelles connivences ! Cela se ressent, autant sur scène qu’à l’écoute attentive de l’album.
Avec ces deux protagonistes, s’invitent sur plusieurs titres, Pierre Boussaguet à la contrebasse, particulièrement inspiré et le violoncelliste classique – le professeur de Tricia au conservatoire – Michael Tafforeau, expert passionné des musiques de chambre. Les timbres proches du violoncelle et de la voix entrent en symbiose en particulier dans “Golden Earings”.
L’album se termine par un nostalgique choro-bossa « Falando de Amor » d’Antonio Carlos Jobim, qui donne envie de tomber illico amoureux et nous dévoile la 3ème source d’influence de Tricia…
Il est peut être dans ce triangle, Jazz, biguine, bossa, le secret de l’équilibre ?
Pour citer Roland Farjon, son attaché de presse :
« Tricia possède ce don voluptueux, cette capacité d’infléchir et d’habiter la voix qui fait savourer avec délice l’instant fugitif où l’on perçoit la présence invisible d’un bonheur tout proche. Dans ses improvisations en scat, elle nous offre le plaisir de se fondre dans la mélodie pour devenir elle-même mélodie de tout son être. Le chant de Tricia Evy apporte ce baume apaisant, réconfortant, chargé d’espoir, que notre monde désemparé appelle de toutes ses forces. Je crois retrouver dans son jeu, dans son expression, les accents de sincérité ultime, la déchirante nudité d’âme à fleur de peau qui faisaient la signature de Nina Simone, inoubliable prêtresse de la Soul »
Un message aux labels, aux tourneurs, aux programmateurs, aux directeurs artistiques de festivals de jazz : avant que Tricia Evy n’ait rejoint les étoiles… Invitez-là, maintenant !
Votre public nombreux vous le rendra et vous louera.
Ce troisième album de Tricia Evy est un petit bijou d’émotion et de couleurs. Il est peut-être un modèle d’équilibre (Usawa), il a pourtant fait chavirer le marin que je suis !
Avant de vous précipiter à son prochain concert de sortie d’album que nous ne manquerons pas de mentionner, ou chez le disquaire de votre quartier, Couleurs Jazz vous offre une (ou plusieurs) écoute intégrale enthousiaste :
Concert de Sortie de l’album au Pan Piper le 3/12/2018
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