Nous relayons ici en solidarité, un « coup de gueule », parfaitement justifié nous semble-t’il, de nos excellents confrères de Jazz-Rhône-Alpes.com. Le signataire est le photographe Pascal Derathé
En effet, nous pouvons témoigner que depuis 10 ans, nous avons vécu ces moments absurdes où de zélé.e.s attaché.e.s de presse ou des tourneurs, nous ont empêché de faire notre travail de journalistes (accrédités pourtant). Depuis l’avènement du web, il faut bien savoir que les photographes comme les journalistes qui écrivent des chroniques, pour la plupart, ne sont pas rémunérés pour leur travail.
Jacques Pauper
Editorial #938 de Jazz-Rhônes-Alpes.com du 24 octobre 2022
Depuis 2007 nous suivons avec une réelle constance un maximum de concerts afin tout d’abord d’en rendre compte et ensuite pour en garder une trace. Plus de huit mille chroniques de concert à ce jour sans compter les interviews et chroniques de disques. Nos chroniques sont systématiquement assorties de photos car le spectacle vivant passe par les oreilles et les yeux.
La semaine passée il est arrivée une drôle de mésaventure à Roger Berthet qui affiche plus de quarante-cinq ans de photographies de jazz au compteur. L’agent d’un artiste lui a demandé de retirer deux de ses photos de notre galerie au motif qu’elles ne servaient pas l’artiste, photos prises sur scène bien sûr, pendant le concert. Aucunement des photos “volées”. Les photos n’ont pas été retirées.
Cela traduit bien la dégradation des conditions de travail des photographes de concert de jazz qui le plus souvent sont des bénévoles au mieux des semi-professionnels. Nous avons fini par nous contenter des désormais traditionnels « Photos OK sur les 3 premiers morceaux » (voire seulement les 2 premiers, quand les artistes n’ont pas eu le temps de se chauffer, ou que les lumières sont volontairement dégueulasses).
Nous constatons un développement quasi systématique des contraintes de plus en plus compliquées qui encadrent les photographes accrédités.
Un florilège :
- Barbara Hendricks qui vire les photographes parce qu’ils « gênent » en 2009 à Vienne, la pilule a été amère (voir ici)…
- Eliane Elias qui vire en plein concert deux photographes accrédités pour ne garder que le photographe qui a avait accepté de faire contrôler ses photos (voir ici)
- Il y a quelques années il nous a été demandé de ne photographier que lors des applaudissements d’un concert piano + chorale de plus de vingt chanteurs (« si si vous verrez les chanteuses ont de jolis costumes » !!!!).
- Le tourneur d’un trompettiste américain nous impose les photos à l’avant dernier morceau … sans nous dire à quel moment il passera…
- Melody Gardot qui nous contraint de photographier le concert depuis le public à Vienne, donnant ainsi raison aux milliers de photographes amateurs avec leurs téléphones.
- La production de la toute jeune pianiste polonaise Hania Rani a franchi le Rubicon en nous demandant de contrôler avant diffusion les photos ET le texte ! (voir ici)
- Un droit de prendre des photos sur des morceaux où le leader ou l’invité vedette n’est pas présent !
- Sans compter le nombre de fois où l’on nous impose de « vérifier » nos photos.
- etc.
Cela ne date pas d’aujourd’hui.
Déjà en 2015 Pascal Kober, photographe et chroniqueur pour Jazz Hot, tirait la sonnette d’alarme “Festivals de musique : la photo de presse menacée”.
En 2017 Le Devoir (journal indépendant de Québec) titrait « La liberté des photographes compromise durant les festivals » (voir ici)
En 2017 le site Sur la même longueur d’ondes propose un long article intitulé « Liberté d’informer menacée ? » (voir ici) où le pouvoir des agents est pointé du doigt : « nous n’avons pas le choix et ne faisons qu’appliquer les consignes des groupes ». C’est à se demander qui paie les artistes ?
La semaine passée Citizen Jazz a publié une chronique choc “Cécile McLorin Salvant le temps c’est de l’image”
Notre confrère rebondit sur le raz-le-bol du très sérieux Syndicat National des Journalistes qui a interpellé en août dernier en ce sens notre ministre de la culture (nous attendons la réponse de l’édile)
Nous pourrions aussi évoquer les prises de position de Télérama (voir ici) ; de La Tribune de Genève (voir ici) ou encorede Le Temps autre média hélvète (voir ici).
De notre côté nous ne pouvons qu’abonder dans ce sens fort des trop nombreuses contraintes qui ne cessent de pleuvoir sur notre démarche.
Le 7 novembre AUCUN photographe ne sera autorisé à l’Auditorium de Lyon pour capter le fabuleux quartet Redman/Mehldau/McBride/Blade ! Triste !
Nous ne dégainerons pas notre photo
Vu que nous avons été prévenus à l’avance.
Nous commençons à en avoir marre d’être si peu considérés par les tourneurs et diffuseurs qui inventent des règles de plus en plus contraignantes, dont les artistes eux-mêmes n’ont souvent pas connaissance (et nous avons des preuves).
L’argument massue évoqué par les agents est le « droit à l’image des artistes ». Ce droit n’existe pas en France quand l’artiste est photographié sur scène devant un public dans l’exercice de son art. Et jusqu’à présent nous n’avons jamais publié de photos qui pouvaient nuire à un artiste, bien au contraire. Bien au contraire notre démarche participe de la promotion des artistes et du spectacle vivant.
De plus en plus de festivals ou diffuseurs organisent des expositions de photos des artistes qui sont passés sur leurs scènes. Mais qu’aurons-nous à montrer de la vie du jazz des années 2020 et après si ce n’est les photos « certifiées conformes » et « lissées » avec l’imprimatur des agents ?
Désormais lorsque nous aurons connaissance de contraintes qui imposent un contrôle du travail de nos photographes nous ne nous déplacerons plus sur ces concerts.
Pascal Derathé
©Photo Header Patrick Martineau JZZM « Belmondo Brothers » à « Jazz in Noyon » avril 2022
©Photo Couverture, Jacques Pauper. Gilad Hekselman à l’Ecuje Paris, octobre 2022
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