Il existe deux façons d’entrer dans la musique : ajouter du savoir au savoir, développer ses connaissances au point qu’on obtient un accroissement du plaisir ressenti à écouter une œuvre référencée ; ou s’abandonner, oublier, omettre les références aux compétences déployées pour mieux apprécier la sensibilité des artistes, ainsi que le ferait un enfant.
Incontestablement, le nouveau projet de Pieternel Van Oers et Miguel Castro s’inscrit dans cette dernière veine, où il est nécessaire de recouvrer une certaine innocence du devenir pour mieux se laisser emporter par le flux des idées mélodiques égrenées par les deux musiciens.
Il serait sans doute un peu trop évident de gloser sur les origines néerlandaises de la pianiste ou les racines chiliennes du guitariste, Le cœur de cette musique réside plutôt dans la sensibilité particulière propre aux deux instrumentistes, et de ce côté, le binôme propose de quoi combler tous les auditeurs.
Le véritable épitomé de l’œuvre enregistrée réside dans son caractère résolument acoustique, et dans ses influences classiques, ce qu’un morceau comme « Echi », du pianiste Enrico Pieranunzi, illustre assez bien par la nostalgie dont il est empreint, sur fond d’accords mineurs qui combinent gammes brisées ou diminuées, avec une contribution de Miguel Castro qui amène la composition sur les terres du « Beyond The Missouri Sky » de Charlie Haden et Pat Metheny.
De ce même point de vue transverse, « Elm » de Richie Beirach, évoque bien sûr Bill Evans, mais aussi l’univers de John Abercrombie et Ralph Towner.
Quant à « East Of The Sun”, de Brooks Bowman, il synthétise de manière évidente l’essence du standard à l’origine du nom de l’album « East Of The Sun and West Of The Moon », de par son caractère proche du répertoire vocal, et du jazz suave de Chet Baker (le premier titre éponyme du disque s’appelle « East Of The Moon »).
La première chose frappante, à l’écoute de toutes les plages de l’album, est le toucher particulièrement sensible de Pieternel Van Oers, qui comporte une précision alimentée par une solide rigueur musicale et une liberté de formes et de figures parfaitement intégrée, que seuls le jazz et les musiques improvisées sont en mesure de garantir aux mélomanes.
Miguel Castro, lui, n’use pas trop de références aisément identifiables, même s’il s’inspire du parcours de musiciens tel que Julian Lage ou Peter Bernstein, pour privilégier un univers de musicien porteur d’une vision artistique, ce qui peut aussi faire penser à Bill Frisell.
Le talent mélodique des deux interprètes nous rapproche de Bill Evans, Keith Jarrett ou encore Fred Hersh, eu égard à l’atmosphère intimiste qui entoure les compositions, pour la plupart issues de la plume de Pieternel Van Oers, ce qui n’empêche nullement chacun des deux musiciens d’interroger le discours de l’autre, en lui permettant d’accéder au plein exercice de son expression et de sa sensibilité.
Dans cette acception, une des comparaisons les plus pertinentes semble la collaboration qui unit Gary Burton et Chick Corea sur l’album « Duet ».
Il y a ici autant de force que de sensibilité, des miniatures portées à leur plus subtil point d’achèvement, affirmant le passage d’une vulnérabilité vers sa sublimation, d’un mouvement vers une métamorphose heureuse, dénuée de toute intention séductrice.
Une musique positive en diable, avec quelques nuances orageuses, que le duo introduit sans doute pour mieux souligner l’épanouissement d’un moment de grâce authentique et sincère.
Musiciens :
Miguel Castro – Guitare
Pieternel Van Oers – Piano
East Of The Moon est sorti le 6 décembre 2024 sous le label Doris Production
Enregistré au studio Joël Fajerman.
Il est en « Sélection » sur Couleurs Jazz Radio.
©Photos Marco Castro
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