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Ça commence avec la sonorité hénaurme de Liudas Mockunas qui, en quelques notes, remplit la salle avant que Marc Ducret ne le rejoigne avec des sons distordus et un phrasé sinueux plein de virages abrupts et de ruptures soudaines.

 Le débit de Mockunas est torrentiel, mais parfois d’une grande douceur de timbre entre des passages où il privilégie la raucité rageuse.

Ducret continue en solo, alternant single notes et accords étrangement dissonants, frottis sur les cordes graves, jeu aux doigts et au médiator. Et quand Mockunas revient, c’est avec une tendresse extrême.

Le second morceau commence par un unisson des deux instrumentistes puis les deux lignes mélodiques se disjoignent et Mockunas alterne les slaps et les shrieks tandis que Ducret explore son manche avec une vélocité peu commune. Ces deux-là se connaissent depuis 20 ans et savent faire chanter leurs instruments de façon totalement originale. Car ne nous méprenons pas : derrière les aspects free de leur jeu Mockunas et Ducret sont de grands lyriques.

Mais des lyriques libres, rétifs à toute mièvrerie, tout passéisme, tout commercialisme. Des explorateurs aussi qui ne s’embourbent jamais dans les sentiers battus. Leur évidente maîtrise technique est parfois terrifiante et si Ducret est connu et reconnu internationalement comme un guitariste majeur et unique en son genre, Mockunas, dont la renommée en France est moindre, n’en est pas moins une perle rare, un joyeux joyau des bords de la Baltique qui sillonne l’Europe à partir de son fief Lituanien.

Passé au soprano, le saxophoniste y déploie une sonorité moelleuse avec un vibrato d’une grande légèreté tandis que Ducret égrène, en tapping, des arpèges répétitifs et délicats avec un timbre d’une finesse extrême. Le morceau suivant est basé sur une œuvre d’un compositeur lituanien dont les deux compères se sont inspirés. Là aussi le lyrisme est patent. La guitare en solo gronde, pleure, gémit ou lance de brèves phrases mélodiques, tantôt staccato tantôt legato : du pur Ducret, dont on reconnaît immédiatement le style unique. Quand Mockunas le rejoint, s’amorce un dialogue passionnant où les unissons et les passages à deux voix se succèdent. Puis c’est au sax ténor de s’élancer seul avec un phrasé abrupt et une sonorité épaisse qui fait de lui un des ténors les plus passionnants d’Europe. Sons étranglés, grognements, claquements de langue apparaissent ici comme les éléments d’un discours parfaitement cohérent qui débouche sur une magnifique coulée mélodique aux accents benwebsteriens et où sera privilégié un important travail sur les intervalles.

Suit un morceau où ce sont de nouveau les lignes parallèles, à l’unisson ou non, qui occupent la première place.

Ducret joue plus ou moins un rôle de bassiste tandis que son compère improvise de façon torrentueuse, creusant à fond le sillon du son. Et Ducret s’élance ensuite en un solo flamboyant parallèle aux explorations sonores du sax. C’est une folle équipée passionnante à suivre car décidément avec ces deux-là on n’est jamais à cours de surprises, comme quand Marc revient à des arpèges mélodieux, aériens à la sonorité joliment métallique tandis que Liudas embouche le soprano sur lequel il déploie une sonorité magnifique de rondeur et un phrasé lent d’une limpidité extrême sur les bourdonnements de la guitare. Puis Mockunaspasse au sax sopranino, un instrument que je ne l’avais jamais vu utiliser et dont il fait un usage bruitiste et ludique tandis que Ducret joue en sourdine sur les effets de souffle de Mockunas, revenu au soprano.

Suit un déluge sonore où Ducret explore à deux mains tous les recoins de sa guitare tandis que le sax adopte un débit torrentiel avant de retrouver une lenteur et une sérénité impressionnantes sur un accompagnement très rock de la guitare distordue.

Le rappel est une pièce sautillante et ludique où les deux musiciens dialoguent en une sorte de chaseendiablé. C’est un peu à qui rattrapera ou dépassera l’autre et c’est vraiment réjouissant à entendre et à regarder et ça se termine par un unisson touffu, rugueux qui emporte tout sur son passage, telles les rivières en crue un peu partout ces jours-ci.

Et on est inondé de plaisir, bien à l’abri des intempéries dans l’antre magnifique qu’est Le Triton des Lilas.

Musiciens :

Liudas Mockunas : saxophones

Marc Ducret : guitare

©Photo Header Daiva Kloviene 

©Photo Cover Maarit Kytoharju

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