Un choix judicieux pour cette 7ème nuit de la série “Le Festival à la Maison symphonique”. La combinaison du virtuose du Ukulélé hawaïen, Jake Shimabukuro et le maître australien de la guitare, Tommy Emmanuel s’est révélé être le meilleur pari, pour remplir le lieu, lors de la chaude nuit du 5 Juillet. Double programme donc, avec 90 minutes de scène pour chacun d’eux. Tommy Emmanuel présente son dernier album. Il n’est jamais trop tard.
Long couloir. Peu de lumière. Moquette grise.
Fin de la route. Une immense salle apparaît. Couverte de bois doux, léger. Une mer de sièges. Une grande scène. Un plafond magnifiquement élevé, des taches de lumière blanche éclaboussant toute la salle.
Et un grand orgue renversé, teint en bleu, comme de longs rayons de lumière azurée qui illumine l’arrière de la scène.
Murmures, chuchotements, cris occasionnels.
Et lentement les lumières deviennent plus douces. La demi-obscurité prend le relai. Quelqu’un commence à applaudir avant même que la porte sur le côté gauche de la scène ne s’ouvre.
Attente… Ovation.
Battements de mains frénétiques. Et il sort.
Un sourire éclatant et une main levée. De l’autre, il tient ses beaux ukulélés bruns. Un bassiste comme seul compagnon. Ils se regardent l’un l’autre. Sourires. Complicité.
Sauts, flexion des genoux, pas en arrière, pas en avant, jeu de côté, puis de face. symbiose parfaite entre les sons qu’il produit et la façon dont il se déplace.
Oeil, sourire et cœur brillants.
Il y a de l’énergie débordant de la scène vers tous les angles de la Maison Symphonique.
Elle vient tout droit du cœur de Jake Shimabukuro, traverse le ukulélé et ses mains véloces, passe sous les sièges, se glisse entre les fentes des portes, à l’intérieur des tubes de l’orgue, dans les plis de l’écharpe rouge dont s’est vêtue cette femme.
Il est chaleureux, proche et honnête – nullement effrayé de s’abandonner à un public qui semble retenir son souffle à chaque fois qu’il entame un solo.
Aucune prétention, pas d’attentes – juste la musique et les sentiments qu’il porte en lui-même transformés en notes et en boucles, en images visuelles construites à partir de son âme et de son énergie.
Et cette énergie est à double face, car nourrie de l’admiration et de l’émotion de l’auditoire. Yeux grands ouverts, esprit grand ouvert, coeurs débordants et impétueux, stand-up spontanés quand s’achève un morceau.
Il agit de manière inattendue, concluant d’un « yyyyeeeeaaaaaaahhhh » sincère, à la manière d’une rock-star, en agitant le poing avec son bassiste, son seul compagnon sur scène, provoquant des sourires dans l’assistance.
Son jeu est touchant et impressionnant, comme la vitesse de ses enchaînements d’accords ou ses solos qui montrent la concentration et la très longue pratique. IL ferme les yeux et capte les influences du jazz, de la soul, du blues, de la funk, du classique ou du flamenco … des réminiscences de mélodies arabes aussi, peut-être ? Dans un rif, il semble traverser toute l’histoire des genres musicaux, puis il tisse une mélodie extrêmement riche.
Puis viennent les versions de Bohemian Rhapsody de Queen, des Beatles «While my guitar gently weeps ». Cette passion, ces nouveaux et tout à fait différents univers sonores émergent – mais encore il conserve la même joie de faire de la musique, les mêmes solos extrêmement rapides – en parfaite communion avec les mélodies jouées par la basse.
Il termine, serre des mains, il sourit. Remerciements.
« Vous savez… »
Applaudissements
«Vous savez, c’est un grand plaisir pour moi d’être ici. Et de jouer avant Tommy. Il a toujours été l’une de mes plus grandes inspirations et je suis très heureux « .
©Nuria Ribas Costa
Et quand Tommy Emmanuel monte sur scène, quelque chose d’étrange se produit. Comme si Shimabukuro était toujours présent, mais avait grandi et évolué pour devenir encore musicalement plus grand.
Encore une fois les solos des instruments à cordes, encore une fois, la preuve de cette même capacité à remplir un tel grand auditorium avec si peu. Cependant, cette fois, il n’y a qu’un instrument. Même si il sonne comme deux personnes jouant ensemble.
L’énergie et la puissance de la musique sont énormes encore. Mouvements rapides, beaucoup d’expressions faciales, mains incroyablement douées qui jouent vite, très vite, et crescendo.
Emmanuel a trois guitares sur scène. Il en change souvent. Il plaisante sur sa manière d’économiser de l’argent, en jouant sans groupe. Au milieu d’un solo, il jette le capodastre en l’air et regarde le public avec une expression légèrement sarcastique.
Tirant des éclats de rire des sièges de la Maison symphonique. Picking des cordes, chatouillant sa guitare, fermant les yeux. Il unit les influences et les dérives du blues, du folk, de la country, du jazz manouche, … Un morceau peut devenir un rollercoaster, pouvant commencer là-haut dans le ciel, et terminer en bas, sous le tapis à l’intérieur du couloir gris.
Mais il porte d’évidence, l’essence d’années de pratique assidue. D’années à essayer de capturer les différentes expériences musicales, à essayer de transformer certains jeux de guitare en un véritable outil de communication, capable de raconter l’histoire de personnages imaginaires ou bien réels.
Mais surtout, cette musique parle de la beauté de transporter les coeurs et les émotions d’un grand auditorium en le touchant vraiment.
Jake Shimabukuro comme Tommy Emmanuel ont cette relation avec le public. Et il est à peine supportable de laisser le son de ces cordes vous caresser les pores de la peau, car cette évidence vous frappe avec force.
C’est la raison pour laquelle, lorsque Shimabukuro revient sur scène et Emmanuel et lui jouent ensemble « Purple Haze » de Jimi Hendrix, quelque chose d’énorme se produit. Ils jamment ensemble, enchaînent solos et boucles, cueillent les dernières phrases de l’instrument de l’autre pour lui donner un second souffle en le propulsant à nouveau dans l’air avec la puissance d’une nouvelle vie.
Et la raison pour laquelle le Festival de Montréal a décidé de créer cette double programmation avec Shimabukuro et Emmanuel devient évidente ; puisque l’on peut deviner comment ils furent influencés l’un par l’autre. Chacun conservant son caractère et un son uniques.
La voix d’Emmanuel est traînante, douce, diffuse, intéressante. Difficile d’en définir la couleur, car elle est faite d’un mélange de tonalités, tout comme son jeu à la guitare. Tout comme la façon dont il s’approprie l’instrument, en ignorant le fait qu’il était destiné à être utilisé pour que l’on joue ses cordes et non pas comme une percussion. Il ne s ‘en soucie pas, choisit une brosse à tambours et pendant qu’il percute tous les coins de la caisse de sa guitare, il frappe également le micro. Et il crée ainsi un solo de percussions incroyable, debout dans des positions improbables, étreignant sa guitare étrangement.
Et donc après plus de trente ans à côtoyer son instrument, il sait encore comment toucher les cœurs et créer de la beauté. De la même manière, il fait des efforts pour expliquer à son auditoire pourquoi et comment il fait ce qu’il fait.
« J’ai écrit cette chanson pour ma fille de 18 ans, lors d’une tournée en Pologne. Quand je la jouai à un jeune guitariste polonais qui voyageait avec nous, il dit : « oh, une chanson en mode mineure et optimiste ». Alors voilà, mesdames et messieurs, laissez-la remplir votre coeur d’optimisme. – La chanson de Rachel, « It is never too late »
Et ça l’a fait.
Et non seulement ça l’a fait : il remplit les cœurs. Mais aussi l’ensemble du bâtiment tremblait d’optimisme.
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