Janvier. Un mois plein de vent et de pluie mais plus calme quant aux sorties de disques. On en profite pour écouter des albums déjà anciens, voir et revoir des vieux films, lire quelques livres.
Une récente et remarquable étude exhaustive de Laurent Cugny sur Hugues Panassié* m’inspire cet éditorial, écrit un peu plus de 43 ans après son décès survenu en décembre 1974. Directeur de conscience du « jazz authentique », Panassié est mort trop tôt pour assister à l’épanouissement du jazz européen. Joué par des musiciens blancs, il en aurait sûrement contesté l’authenticité, tout comme il avait refusé le be-bop, la modernité et l’inévitable transformation de cette musique. Car, selon lui, il fallait être afro-américain pour jouer le jazz qu’il entendait ou, à défaut, le jouer comme un musicien noir et peu de Blancs en étaient capables. Intolérant, il fantasmait un jazz idéal qui ne pouvait que progressivement s’éloigner de l’idée qu’il s’en faisait, des jugements de valeur qu’il avait érigés en dogme et au sein desquels il s’était enfermé.
Si l’on parle moins d’Hugues Panassié aujourd’hui, son influence reste vive dans le petit monde du jazz qui s’agite aujourd’hui. Une emprise d’autant plus pernicieuse qu’elle empoisonne les esprits et conditionne des attitudes. Mes propos ne visent pas certains nostalgiques du Hot Club de France qui défendent toujours bec et ongles l’orthodoxie panassiéenne. Ils s’adressent à ceux qui, pour de mauvaises raisons, refusent que le jazz se transforme, s’ouvre à d’autres musiques, la notion de vraie et de fausse musique de jazz que Panassié introduisit dès son premier livre, “Le Jazz Hot” (1934), restant hélas d’actualité. Installé en Europe, revitalisé par des musiciens inventifs et talentueux, le jazz s’est trouvé un public fidèle et réceptif. Empruntant à d’autres cultures, il s’approprie et s’invente d’autres rythmes, se pare d’autres couleurs, son champ harmonique se confondant souvent avec celui de la musique savante européenne.
Non sans provoquer les réactions négatives des puristes pour lesquels il se doit d’obéir à des règles immuables. Cette musique qui s’enracine loin de l’Amérique et du blues des origines, n’est pour eux plus du jazz. Hugues Panassié qui écrivit que les Blancs ne peuvent au mieux qu’imiter le jazz aurait pu être un des leurs. La couleur de la peau et l’éloignement géographique avec la mère patrie du jazz n’ont pourtant rien à voir avec l’aspect qualificatif de cette musique, avec le talent des musiciens qui n’a pas de frontières. Le temps s’était arrêté pour Panassié qui, énonçant des croyances et non des arguments, imposa ses goûts comme s’ils étaient des dogmes. Inclinaison étroitement liée à la culture, le goût se forme, se construit, se modifie au sein d’un monde qui bouge et change à très grande vitesse. Comme toutes les musiques savantes, le jazz demande un effort. Il s’agit de connaître son histoire, ses traditions et loin de la rejeter, d’accueillir favorablement son évolution, même s’il abrite aujourd’hui des musiques étrangères à son glorieux passé. Ce blog qui lui est consacré reflète fidèlement mes goûts. Je respecte ceux des autres, fussent-ils différents. Je vous espère nombreux à partager les miens.
* “Hugues Panassié, L’œuvre panassiéenne et sa réception”, Éditions Outre Mesure, Collection Jazz en France.
L’original de cette chronique est également disponible sur le Blog de Pierre de Chocqueuse, Blog de Choc
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