Le pianiste, chef d’orchestre et compositeur Martial Solal est mort le 12 décembre 2024 à l’âge de 97 ans. Voici, inédit, le questionnaire de Proust de Martial Solal recueilli par Franck Médioni avec qui il a signé son autobiographie « Ma vie sur un tabouret » (Actes Sud, 2008),
Le principal trait de mon caractère ?
La persévérance. Le fait de ne jamais renoncer à un but même lorsqu’il est réputé inatteignable. Vivre dans l’illusion est préférable à vivre sans illusions.
La qualité que je préfère chez un homme ?
La lucidité. Peut-être parce que j’en manque assez souvent. J’ai surtout du mal à ne voir chez quelqu’un que ses mauvais côtés. Je préfère laisser une deuxième chance aux méchants.
La qualité que je préfère chez une femme ?
La beauté, Body and Soul. Je trouve, mais c’est un point de vue sans doute masculin, les femmes plus agréables à regarder que les hommes.
Ce que j’apprécie le plus chez mes amis ?
J’aime qu’ils m’aiment. J’ai besoin d’amour. J’aime qu’ils aiment la musique et qu’ils la comprennent. J’ai beaucoup de mal à me sentir proche de ceux pour qui la musique est secondaire.
Mon principal défaut ?
Un certain aveuglement vis-à-vis du monde extérieur. Cela rejoint mon manque de lucidité (voir plus haut) J’ai d’autres défauts, mais j’en garde égoïstement la liste pour mes proches.
Mon occupation préférée ?
Depuis toujours, la télévision. Et la musique, que j’ai du mal à ranger dans la catégorie « occupation ». La musique, c’est un travail à plein temps, alors que j’associe plus facilement le mot occupation à ce que l’on fait quand on n’est pas occupé. La détente, en somme.
Mon rêve de bonheur ?
Je nage dans le bonheur. Je n’ai aucun rêve de bonheur, sinon celui de durer. L’ennui est que chaque jour est un jour de bonheur en moins.
Quel serait mon plus grand malheur ?
Perdre ceux que j’aime. Je sais, c’est banal. Mais tellement vrai. Et je n’ai rien de mieux à proposer.
Ce que je voudrais être ?
Un peu moins ignoré par certains. C’est aussi tellement vrai. Et un peu faux aussi, car c’est pure vanité, et devenu maintenant complètement inutile. Dans A bout de Souffle, Jean-Pierre Melville, jouant le rôle d’un intellectuel, à qui l’on demandait quel était son but dans la vie, répondit : « Devenir immortel, et puis… mourir »
Le pays où je désirerais vivre ?
Chatou. Chatou en France. Chatou en Yvelines. Partout où vit Anna. Mais surtout si elle vit à Chatou.
La couleur que je préfère ?
Le bleu. Le rouge. Le jaune. Et le noir et blanc pour certains films.
La fleur que j’aime ?
La rose. De toutes les couleurs. Ou à la rigueur le Phalaenopsis.
L’oiseau que je préfère ?
Le plus petit oiseau possible, celui dont les crottes qu’il ferait sur ma voiture seraient presque invisibles. Ou alors, un oiseau tellement énorme qu’il ne s’intéressait qu’aux camions de plus de quinze tonnes.
Mes auteurs favoris en prose ?
Isaac Bashevis Singer, Alain Gerber, San Antonio, Charles Dickens, Albert Cohen, Louis-Ferdinand Céline (malgré son petit défaut !…), Gustave Flaubert et beaucoup, beaucoup, d’autres… et encore quelques autres.
Mes poètes préférés ?
Charles Baudelaire. J’en connais peu. Je vais demander à ma femme.
Mon héros dans la fiction ?
Bérurier, Alexandre Benoît pour les dames. L’inénarrable si bien narré par Frédéric Dard.
Mes héroïnes dans la fiction ?
Madame Bovary, pour sa naïveté. Les naïfs ont quelque chose de plus que les autres : la naïveté.
Mes compositeurs préférés ?
Question trop facile. J’ouvre l’histoire de la musique et je lis au hasard : Ravel, Bach, Chopin, Debussy, Stravinsky, Bartok, Messiaen, Liszt, Hodeir, quelques autres et… même Solal. (Aime toi, le ciel t’aimera…)
Mes peintres favoris ?
Rembrandt, Renoir, Picasso, Magritte, et tellement tellement tellement d’autres… Ils sont trop nombreux pour être favoris. J’aime aussi les outsiders. Ils sont encore plus nombreux.
Mes héros dans la vie réelle ?
Les informaticiens. Les vrais musiciens. Les mathématiciens. Chacun les siens.
Mes héroïnes dans l’histoire ?
Aucune, pour l’instant. Je verrai plus tard.
Mes noms favoris ?
Dupont (le plus neutre) ou n’importe quel nom imprononçable.
De préférence sans voyelle. Très neutre aussi.
Ce que je déteste par-dessus tout ?
L’ignorance, cause de toutes les erreurs, de tous les drames.
Ignorance est le condensé d’ignoble et de rance, des mots peu appétissants.
Caractères historiques que je méprise le plus ?
Tous ceux qui ont trompé les gens pour les amener à faire une guerre. Ceux qui ont prôné des révolutions n’ayant pour but que de les mettre eux-mêmes au pouvoir. En attendant la prochaine révolution. Donc des inutiles.
Le fait militaire que j’admire le plus ?
Pour des raisons personnelles, le débarquement allié à Alger en 1942, ce qui, en quelque sorte, m’a probablement sauvé la vie. Pour le reste, le mot militaire pas plus que le mot martial, ne font partie de mon vocabulaire courant.
La réforme que j’admire le plus ?
Toutes celles qui permettent l’amélioration de la vie, tant qu’elles ne sont pas démagogiques et surtout celle concernant l’abrogation du service militaire en France. En rêvant qu’elle fasse école. J’aurais même aimé être réformé. Cela m’aurait évité le service militaire. En général, j’aime les réformes. Il y a tellement de choses qui peuvent être améliorées !
Le don de la nature que je voudrais avoir ?
L’immortalité. Ou la possibilité de choisir ou non de le devenir. Changer de peau ne me déplairait pas non plus, surtout depuis que la mienne commence à se rider. J’adore me dérider.
Comment j’aimerais mourir ?
Impossible de répondre à une question dans laquelle il y a « j’aimerais mourir ». Sinon, évidemment, dans mon lit, en dormant, et pas du tout sur scène, en jouant, même les yeux fermés.
Etat présent de mon esprit ?
Au beau fixe. Je suis un homme heureux parce que j’aime ma femme depuis quarante ans, et que c’est réciproque. Pour moi, le secret du bien être, c’est aimer et être aimé. Mais, je me tiens sur mes gardes, car un proverbe tonkinois dit : En amour, les quarante premières années sont les plus faciles, les ennuis ne commencent qu’à la quarante et unième.
Les fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence ?
La naïveté et les fautes d’orthographe.
Ma devise ?
J’allais dire l’Euro… J’hésite entre deux : Aide-toi, le ciel t’aidera. Mais pour l’appliquer, il faut croire au ciel… De l’ordre, encore de l’ordre, toujours de l’ordre. C’est celle de mon père. L’ordre, ce n’est pas seulement bien entasser des dossiers dans un tiroir, c’est mettre de l’ordre dans sa pensée, savoir trouver la sortie du labyrinthe créé par chaque problème. Ce qui m’intéresse le plus, c’est la recherche de la vérité, dans tous les domaines. Mission impossible…
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