Si plus de 26 000 personnes ont participé à la 58è édition de Jazz à Juan (amputée d’une soirée en raison d’un violent orage), l’un des temps forts du festival restera l’émouvant hommage de Marcus Miller à son père, décédé il y a quelques mois.
Dans un français parfait, le bassiste électrique, au légendaire « pork pie hat » vissé sur le sommet de son crâne, s’est d’abord livré à quelques confidences. « Mon père, William H. disparu en mars dernier à l’âge de 92 ans, était pasteur dans une église de Brooklyn et rêvait de devenir pianiste classique professionnel. Mais cette ambition fut abandonnée avec la naissance de deux enfants. Afin de nourrir sa famille, il fut tour à tour chauffeur de bus puis du métro de New York City« , a-t-il confessé. Tout en continuant à donner à son fils Marcus l’amour de la musique – un amour partagé et entretenu par son oncle, ancien pianiste de Miles Davis, Wynton Kelly. Avec en premier lieu l’apprentissage de la clarinette puis de la guitare basse. Et c’est justement à la clarinette basse – uniquement accompagné de son batteur et de son claviériste – que l’immense jazzman a évoqué la mémoire de ce père adulé en lui dédiant un titre, « Preacher’s Kid« .
S’en sont suivis des moments d’une intense et extraordinaire émotion sur ce thème très churchy et blusey, renforcés par la sonorité grave, sombre et imposante de la clarinette basse. Le tout allant jusqu’à embuer les yeux, voire faire couler quelques larmes sur les joues des auditeurs et auditrices de la Pinède Gould qui partageaient – avec un sentiment à la fois de douleur et de plaisir musical – cette émouvante évocation paternelle, pleine d’une très grand humanité et bonté. Chapeau – et un grand merci – l’artiste !
L’autre moment éloquent à mettre au crédit de l’excellente et passionnante prestation de Marcus Miller, dont le répertoire était tiré de son dernier album, « Laid Black » (Blue Note/Universal), a été la venue sur scène de la vocaliste belge Selah Sue pour trois titres (et le rappel). De plus en plus « joplinienne« , notamment dans le timbre de voix, la chanteuse a surtout délivré une longue, enlevée, inspirée, rythmée et funky version d’un standard de la chanson , « Que Sera Sera« . « Après la version originale interprétée par Doris Day, puis plus soul par Sly and The Family Stone, voici la «version Marcus Miller » s’est amusé à déclarer le bassiste, absolument aux anges.
Autres temps forts.
Parmi les autres temps forts d’un festival qui a accueilli (entre le 12 & le 22 juillet) des artistes aussi différents que Carla Bruni, Melody Gardot, Norah Jones ou bien Lenny Kravitz, a été le concert de Chick Corea. Celui qui était venu à Antibes/Juan-les-Pins pour la première fois au sein du groupe de Miles Davis en 1969, s’est livré à la tête de son magnifique, homogène et fidèle Trio acoustique depuis près de trente ans – John Patitucci (contrebasse) et Dave Weckl (batterie) – a une formidable promenade dans les standards revisités à sa façon et les compositions originales. Avec son style pianistique reconnaissable entre tous, fait de ruptures rythmiques et mélodiques appuyées, d’un phrasé rapide parfois percutant, le leader a réinventé « In A Sentimental Mood » de Duke Ellington, devenu « Chick’s Mood« , s’est inspiré de Scarlatti pour composer « Dom » et a réarrangé « You and the Night and the Music« , composé pour un musical de Broadway dans les années 1930. Ou tout l’art et surtout la manière étoilée de faire de l’actuel avec un riche répertoire.
Si, dans la même soirée, la musique de David Sanborn a mis très longtemps à trouver son rythme de croisière allant d’une forme de bavardage à – enfin ! – retrouver les accents et le style propre au saxophoniste-alto, il faut saluer le concert donné par le Multiquarium Big Band d’André Charlier (batterie) et Benoît Sourisse (claviers) qui avaient invité Biréli Lagrène (basse électrique) pour un hommage à Jaco Pastorius (en 1ère partie de Marcus Miller). Et les fantômes de ce précurseur et pionnier de la basse électrique, décédé en 1985 dans des circonstances tragiques à l’âge de 35 ans, tout comme celui de l’emblématique groupe de jazz-rock et jazz fusion Weather Report, auquel il a participé et donné tant de tubes, ont plané sur la pinède. Des compositions comme « Barbary Coast« , « Continuum » ou encore « Teen Town » ont donné à Biréli Lagrène, étonnant à la basse électrique, et au puissant grand orchestre, l’occasion de rappeler l’importance et l’influence apportées par un révolutionnaire instrumental trop tôt disparu.
NB : La 59è édition de Jazz à Juan aura lieu du 12 au 21 juillet 2019
Jammin’ Juan : le marché des professionnels du jazz qui se tiendra du 25 au 27 octobre prochain avec comme parrain le chanteur Hugh Coltman.
Toutes les photos, y compris celle figurant en couverture de l’article sont au crédit de ©Gilles Lefrancq / OTC Antibes Juan Les Pins.
COMMENTAIRES RÉCENTS