Balkan Jazz Connections est la devise du JAM (Jazz Association Month) quinzième édition annuelle de la plus importante manifestation Jazz au Monténégro. Elle se déroulait cette année du 1er au 30 avril.
Guidés par l’expérience positive du Balkan Youth Jazz Orchestra en 2021, l’idée de cette édition 2022 (post Covid ?!) était de mettre sur le devant de la scène, quelques-uns des talents émergents du jazz dans les Balkans.
L’instigatrice de ce projet est Maya Popovic, présidente de l’association « Jazz Art »
Pour la première fois au Monténégro, se sont produits en concert :
- le quatuor vocal MING de Belgrade, avec la pianiste et compositrice Nevena Pejcic à sa tête ;
- Le quartet de saxophonistes expérimentés originaires de Subotica, dans le Voîvodine Serbe : Super Sax 4 avec Jasna Jovicevic, Adam Klem, Gabor Bunford et Maks Kocetov. Compositions et arrangements originaux pour 4tet de saxophones.
- de Skopje, le Gordan Spasovski Trio qui a pu présenter son premier album, remarqué par la critique « Light Pillar » ;
- Le jeune groupe local, de Podgorica, Kuhinjazz, qui a proposé pour la première fois son album (à la recherche d’éditeurs et de distributeurs en Europe). Avec Enes Tahirović, aux claviers, Stefan Pavicevic, saxophone, Dejan Ljujic, trombone, Luna Kostadinović , violon, Martin Djordjevic à la batterie et Slaven Ljujic, à la basse, compositeur et leader du groupe.
- l’ensemble venu du Bosphore, le trio de Baturai Yarkin, avec Nagme Yarkin, chanteuse et joueuse de Kamânche ou kamancheh, une famille d’instruments à cordes frottées d’origine iranienne répandue au Moyen Orient, en Turquie ou dans les Balkans.
- l’orchestre du Grand Ensemble Mimika, 18 musiciens, formé à Londres et originaires de Zagreb, avec à sa tête le multi-instrumentiste et compositeur Mak Murtic;
Durant le Festival de Podgorica, deux films ayant pour thème le jazz ont été présentés :
- un documentaire de 2006 sur Herbie Hancock intitulé « Herbie Hancock : Possibilities« , réalisé par Doug Biro et Jon Fine.
- Le film de fiction « Django« , le long métrage français de 2017, réalisé par Etienne Comar et inspiré de Django Reinhardt.
Dans le cadre des échanges « France Jazz Balkans » initié par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qu’il faut remercier pour son soutien financier, ainsi que les Villes de Dijon et de Chambéry, instigateurs des rencontres et des échanges entre les différents acteurs du projet Jazz France Balkans, Couleurs Jazz était ainsi présent pour rendre compte aux différents partenaires de ce projet et à un large public, de cet événement.
La dernière semaine du « JAM Festival du Montenegro », à laquelle nous avons pu assister avait au programme, du 26 au 30 avril 2022, en plus des films présentés, trois groupes et quatre concerts.
Mardi 24 avril – Kuhinjazz, Parc Njegosev, Podgorica
Le sextet du compositeur, batteur et bassiste, Slaven Ljujic, qui proposait pour la première fois son nouveau projet.
Décision fut prise d’installer les musiciens sous un joli kiosque du Parc Njegosev, récemment remis à neuf, sur les bords du fleuve Moraća.
Un public mélangé de familles, de jeunes intrigués et de mélomanes avertis, constitué il nous semble pour moitié de passants, pour moitié de festivaliers. Tous les concerts sont gratuits pour le public et financés par l’association organisatrice avec le soutien de la Mairie de Podgorica et des différents partenaires comme l’Institut Français.
Des conditions de sons compliquées pour les musiciens installés en demi-cercle sous ce kiosque, mais un rendu d’excellente qualité pour les promeneurs du parc Njegosev, comme pour le public qui s’amassa tout autour durant le concert.
Pour ce qui est de la musique proposée par Kuhinjazz, groupe émergent, il s’agit d’un jazz fusion, tonique avec des couleurs propres à la culture du Montenegro. L’accent est mis sur le groove et la pulse du leader Slaven Ljujic avec des lignes de basses colorée et inventives, assisté avec la précision du métronome, par le batteur Martin DJorjdjevic.
Le claviériste Enes Pavicevic déborde d’énergie et d’inventivité dans ses dialogues avec Dejan Ljujic, frère du leader, aussi talentueux au trombone très jazz qu’à la guitare plus rock.
Au saxophone, Stefan Pavicevic, envoie de magnifiques traits sous les arbres du parc de cette douce nuit d’avril. Il nous réjouira enfin d’un magnifique chorus improvisé avec une petite flute locale, toute basique, mais d’une efficacité… !
Dommage que le son de la violoniste Luna Kostadinović soit trop couvert par les autres instruments. Ceci sera corrigé le lendemain, lors du second concert du même groupe.
Un jazz fusion dans l’air du temps, dans l’air des balkans.
Les musiciens :
Enes Tahirović, claviers,
Stefan Pavicevic, saxophone,
Dejan Ljujic, trombone et guitare,
Luna Kostadinović, violon,
Slaven Ljujic, compositions et basse électrique et
Martin Djordjevic, batterie.
Mercredi 25 avril – Kuhinjazz, au Zetski Dom de Cetinje
Le Kuhinjazz, textuellement le « jazz de cuisine » sert un jazz épicé et cuisiné aux saveurs du Monténégro principalement mais aussi de l’Afrique, mère de tous les jazz. Un jazz bien préparé avec une écriture fluide, laissant l’opportunité à de belles évolutions, à des chorus inspirés, chacun apportant ses ingrédients, à savoir son talent. Comme dans toute bonne cuisine il n’en reste pas moins qu’il faut un chef au piano (de la cuisine) ou à la batterie de cuisine également, ou encore ici à la basse.
Arrivés au moment des balances, nous en profitons pour faire un tour dans Cetinje, la capitale historique du Monténégro qui a gardé quelques fonctions, la plupart des administrations gérant le pays étant plutôt basées à Podgorica. Cetinje, cité perchée dans la montagne a des allure de ville de province, calme et tranquille. La manifestation en faveur de l’Ukraine emmenée par un cortège d’une quarantaine de personnes que nous croisons, ne semble pas troubler des habitants assis aux terrasses des cafés.
En passant par-là, ne manquez pas d’admirer l’ancienne ambassade de France, un bâtiment à l’architecture étrange. Il parait qu’il fut construit de cette manière un peu baroque, car les plans qui furent envoyés-là étaient destinés en fait à la construction de l’ambassade de France au Caire… Nous nous réjouissons là de cette erreur.
Le Zetski Dom, Théâtre Royal qui fait partie de la « Route Européenne des Théâtres historiques » en particulier des pays de l’Adriatique et qui accueille le concert du soir nous accueille. Ce théâtre fut construit après que le pays ait pu se libérer de l’empire Ottoman, en 1878. Il servait aussi de bibliothèque, de centre culturel, de musée…. Restauré, le Zetski Dom accueille aujourd’hui représentations théâtrales et concerts. Il y règne une atmosphère apaisante, propre aux lieux de culture qui sont chargés d’Histoire.
La scène y est profonde, les sièges de velours gris, confortables. L’acoustique propice, a permis une toute autre vision, ou plutôt, une nouvelle appréciation du concert de la veille. Saluons ici les ingénieurs du son qui ont fait pour tous les concerts un travail remarquable.
Ce soir, nous pûmes apprécier les coups d’archets des phrasés subtiles de Luna Kostadinović au violon ainsi que de tous les musiciens très en verve.
Certaines pièces écoutées la veille étaient fort attendues, en particulier celles qui offraient un groove africain. La reprise de « Butterfly » d’Herbie Hancock est une nouvelle appropriation au goût exquis. Comme un bon plat traditionnel revisité. servi là pour le dessert.
Une succulente Kujinjazz !
Vendredi 29 avril – Le Baturay Yarkin Trio & Nagme Yarkin au Théâtre Kic Budo Tomovicde de Podgorica.
Le quartet venu du Bosphore, constitué du trio du pianiste Baturai Yarkin, avec Nagme Yarkin, chanteuse et joueuse de Kamânche ou kamancheh, une famille d’instruments à cordes frottées d’origine iranienne répandue au Moyen Orient, en Turquie ou dans les Balkans nous propose un répertoire jazz aux couleurs orientales qui vont de l’Anatolie à l’Azerbaïdjan.
Une rythmique solide assurée par le contrebassiste Enver Muhamedi et le batteur Mert Can Bilgin. Virtuosité des musiciens et en particulier du pianiste Baturai Yarkin, dont le jeu n’est pas sans rappeler des pianistes azeris comme Shahin Novrasli ou Isfar Sarabski.
De longues vocalises de Nagme Yarkin. Les morceaux se ressemblent un peu en terme de rythmiques. Notre préférence va pour les mélodies que cette artiste incroyable tire de son instrument, le Kamânche, qui offre certainement une étendue moins large que le violon mais qui possède un son particulier, plus grave, plus suave. On aurait aimé davantage de chorus improvisés comme sur le premier morceau.
Nous restons sous le charme de cette soirée de concert de deux heures pleines.
Le public du Théâtre Kic Budo Tomovicde de Podgorica, leur réservera une standing ovation méritée.
Samedi 30 avril – Le Mimika Orchestra sur la scène de plein air Ljetnja de Podgorica
Un théâtre de verdure et de pierres en hauteur, au confluent de la rivière Ribnica qui se jette dans le fleuve Moraća en pleine ville. Quel bel endroit !
Quelques rangées de gradins en demi-cercle, une scène assez large pour accueillir les 18 musiciens croates de cette formation originale, déjà par sa configuration, mais surtout par ses créations musicales originales inspirées des Big band jazz américains et de la riche culture musicale des Balkans. Ça groove, ça pète, ça vrombit ! Les chorus des musiciens, tous de très haut niveau, nous emportent dans une spirale dont nous redescendons secoués et enchantés un peu comme quand on monte dans des engins de fêtes foraines qui vous envoient en l’air et vous bousculent les sens pour plus d’enthousiasme encore.
Des solos au saxophone, au tuba, à la flûte à couper le souffle, une rythmique impeccable d’efficacité : percussion, batterie, basse et guitare électriques. Des soufflants, saxophones, trompettes, flûtes, trombones jusqu’au hautbois et finalement deux chanteuses comme des déesses antiques qui rugissent, dansent et scandent les mélodies avec une énergie soutenue.
Dans cette ambiance survoltée, les arrangements sont ciselés à l’or fin, les vibrations rythmiques sont pointues et les énergies telluriques.
Cela ne ressemble à rien de connu.
Le Mimika Orchestra peut être considéré comme l’un des orchestres les plus créatifs sur la scène jazz européenne. Il embarque le public dans un voyage plein d’aventures là où le jazz entre en collision avec d’autres genres musicaux et formes d’art, racontant des histoires anthropologiques, culturelles et mythologiques du passé et du futur.
Tout ce monde merveilleux est conduit de main de maître ou plutôt par la gestuelle de tout le corps, du compositeur, Mak Murtić.
Bref, il faut écouter cet opéra Jazz rock balkanique à la sauce piquante !
Personnel :
Maja Rivic – voix
Dunja Bahtijarevic – voix
Nika Bauman – flûte
Jelena Ilcic – hautbois
Leo Beslac – flûte et claviers
Marko Lucijan Hrascanec – saxophones alto & soprano
Anton Prettler – sax tenor
Marko Gudelj – sax baryton
Zvonimir Bajevic – trompette
Valdemar Kusan – trompette
Vid Zgajner – trombone
Ivan Mucic – trombone
Jurica Rukljic – tuba
Josip Sustic – Guitare électrique
Viktor Slamnig – basse
Nenad Kovacic – percussion
Mario Petrinjak – batterie
Mak Murtic – compositions & direction
Et quel joli cadeau pour fêter ce 30 avril, International Jazz Day, reconnu par l’Unesco.
Merci encore à Maya Popovic, la directrice du JAM Festival, ainsi qu’à toute son équipe, à la ville de Podgorica, à l’Institut Français du Montenegro et l’ensemble des partenaires qui rendent ces projets possibles.
Un hommage également aux Villes de Dijon et de Chambéry, ainsi qu’au Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères pour son soutien financier au projet « Jazz France Balkans » qui ont permis ce reportage et la diffusion de ce jazz des Balkans.
©Photos Gaby Sanchez & Jacques Pauper pour Couleurs Jazz
COMMENTAIRES RÉCENTS