La pianiste et compositrice Gentiane MG, de passage à la Rare Galerie de Wilson Claude Balda, agitateur culturel et infuseur de talents, pour une soirée Couleurs Jazz Club – Musicora Hors les Murs, a ravi le public avec une interprétation en solo des morceaux présents sur son 3ème album, Walls Made of Glass.
Au terme d’une tournée au Canada et en France, elle s’est livrée à un exercice d’approfondissement particulièrement audacieux en regard de la sensibilité qu’il impliquait, reposant sur une mise à nu des émotions et des pensées à l’origine de sa jeune carrière d’artiste.
On la dit influencée par l’impressionnisme, par une certaine porosité entre les différentes formes d’art, et c’est exactement ce que permet le lieu ce soir, qui la voit égrener ses notes de piano choisies sous les toiles du peintre Franck Quimpert (elle se dira même intimidée par cette proximité au cours de son set).
La musique est pour l’artiste un mode d’expression particulier, qui n’interdit pas l’accès aux autres formes d’art, mais prolonge et éclaircit les pensées et émotions qui se succèdent au gré des parcours de vie. Les compositions portent la marque d’une solide culture classique, mais c’est dans une optique de déconstruction basée sur l’écoute et l’interaction avec autrui qu’elle en est venue tout naturellement au jazz. Son trio avec le bassiste Levi Dover et le batteur Louis-Vincent Hamel est ainsi devenu sa formation principale, bien qu’elle ne s’interdise, comme ce soir, aucune expérience novatrice.
Le plus saisissant de son œuvre est la relation intime qu’entretiennent ses questionnements philosophiques avec la poésie et la recherche de « notes qui s’aiment », selon le mot fameux de Mozart. La poésie est sans doute la forme littéraire la plus proche de la musique, qui désamorce par son principe les rivalités, les comparaisons, les hiérarchies, privilégiant l’essence de l’être et sa singularité. La quête de sens de Gentiane MG ouvre sur une terre de contrastes, sans rien omettre, ni évacuer de l’expérience vitale, pour ne pas ajouter ou retrancher quoi que ce soit d’inopportun à la relation de son discours singulier de femme et d’artiste. Walls Made of Glass est, de ce point de vue, porteur de la noirceur éclairée d’un Pierre Soulages, comme des scintillements de Debussy et Scriabine ou de l’introversion de Bill Evans et Keith Jarrett.
On songe à la poésie « confessionaliste » de Sylvia Plath et Ann Sexton, qui intègrent à la trame de leur travail leur humanité singulière. La pianiste n’hésite pas à s’éloigner de son instrument pour prendre du recul, comme un soliste tente de chanter les motifs à l’œuvre dans son chorus plutôt que de mobiliser une mémoire musculaire et tactile plus conventionnelle que créative. Comme pour beaucoup d’entre nous, la pandémie de Covid 19 est responsable d’une prise de recul, d’un questionnement vital et de remises en question des automatismes chez Gentiane, une tonalité composite faite de recentrage et d’enrichissements successifs qui se font clairement entendre dans les 10 titres de Walls Made of Glass. Il est, du coup, tout à fait concevable d’évoquer une sorte de « plafond de verre » pour qualifier la démarche, l’apaisement après plusieurs années de fièvre et de recherche créative.
L’aspect intimiste, à la fois lié au propos et à la période de gestation de l’album, est contrebalancé par des titres comme The Moon, The Sun, The Truth, sur lequel on réalise la validité de l’adage surréaliste « la beauté sera convulsive ou ne sera pas ». D’une manière générale, les titres longs comme Flowers Laugh Without Uttering a Sound ou Little Tree évoquent un voyage à travers la matière inanimée, la difficile réconciliation avec le réel.
Gentiane dit avoir longtemps regardé par la fenêtre, s’interroger sur le sens qu’elle donne à sa musique, couchant sur le papier dessins et poèmes, caressant ses chats, qu’elle finit bien sûr par préférer aux objets de matière inerte pour articuler ses méditations. Mésanges est basé sur l’expérience d’une promenade irréelle, commencée dans la grisaille et l’anonymat d’un jour de frimas, qui se conclut par une symphonie élémentale avec des oiseaux venant se poser sur l’artiste ainsi que les étoiles viennent reposer dans la poitrine de Rainer Maria Rilke, sous l’inspiration des Élégies de Duino.
La glace dépeinte par Hugues MacDiarmid, le poète écossais, crée une pureté qui tremble comme un corps de diamant, une myriade de tensions non résolues, juxtaposant les idées mélodiques qui suscitent une participation active de l’auditeur, avant que l’euphonie finale n’apaise les consciences sur un mode presque thérapeutique. D’un point de vue technique, les contrastes à l’origine des compositions sont matérialisés par des accords de puissance au milieu du clavier, fréquemment accompagnés d’un sens de l’ornementation très fin, qui s’exprime sur les notes graves et aigues du piano, avec un usage savant de la pédale de réverbération faisant inévitablement penser à Thelonious Monk, dont la légende prétend qu’il fut pris, à l’oreille, pour un accordeur de piano par Art Tatum, le non voyant.
La citation de Bouddha « Trois choses ne peuvent être cachées longtemps, le soleil, la lune et la vérité » que Gentiane utilise pour illustrer son propos en appelle inévitablement une autre quand on a eu la chance de l’écouter : « Ni le soleil, ni la mort ne peuvent se regarder fixement », de La Rochefoucauld. On ne peut voir et écouter sans gratitude Gentiane MG renouer pour nous avec cette grâce donnée à l’enfant d’offrir une vision enchanteresse du chaos à l’origine de la vie.
©Photos Gaby Sanchez pour Couleurs Jazz
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