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Où peut-on voir et entendre des jazzmen/women belges cet été ? Eh bien en Belgique ! Plus précisément dans le sud du pays, un sud torride en ces temps de canicule estivale : au Gaume Jazz Festival, qui a lieu début août pour la quarante-et-unième fois, dans le petit village bien nommé de Rossignol.

Non que Gaume jazz soit particulièrement chauvin, mais la scène belge est si riche qu’il est difficile de résister à l’envie de la représenter dignement, d’autant que ce n’est pas sur le voisin français (pour ne citer que lui) qu’il faut compter pour programmer des musiciens belges, particulièrement en été.

Si bien que sur les 26 concerts de cette édition qui compte quinze productions belges et onze étrangères, on remarquera qu’au total ce sont douze nationalités que l’on trouve parmi les cent et quelques musiciens présents.

Vendredi 08/08

Et c’est le Heptone Colours du pianiste Olivier Collette qui ouvre le bal avec un septet à l’instrumentation originale puisque deux des souffleurs alternent flûte basse, flûte en do, sax soprano et alto pour l’un, clarinette basse et sax ténor pour l’autre.

Le répertoire est également varié, incluant entre autres un standard tel que « Nature Boy », le « Blackbird » des Beatles ou un thème de Jaco Pastorius. Cette musique hautement colorée et boostée par une rythmique puissante est émaillée de solos inventifs et constitue un excellent apéritif pour ce festival.

La musique du sextet de Tom Bourgeois est nettement plus abstraite mais tout aussi colorée puisque les anches du leader (sax soprano, ténor, clarinette basse) sont, avec le violoncelle de Vincent Courtois, les principaux solistes auxquels s’ajoute la voix de Veronika Harksa.

Les compositions, signées de Bourgeois, sont en partie inspirées par des thèmes de la compositrice classique Lili Boulanger. 

C’est une musique très écrite et atmosphérique, d’une grande intensité, où le son de groupe prédomine par rapport aux courts solos.

L’Auster Loo Collective est, quant à lui, une synthèse entre diverses musiques du monde puisque s’y côtoient un koto japonais, une kora malienne, des flûtes, diverses percussions manuelles, un piano et une contrebasse.

Plusieurs instrumentistes doublent au chant et les compositions du leader et percussionniste Simon Leleux oscillent entre des ambiances méditatives et des moments où c’est la transe qui prévaut.

De quoi réjouir le public nombreux du grand chapiteau.

Et c’est sous ce même chapiteau que la soirée se termine avec le goupe Black Lives que dirige le bassiste électrique et contrebassiste Reggie Washington : une formation multiforme et pluri-nationale qui brasse un large éventail des musiques noires de la planète.

Un son énorme où le funk, le hip hop, le jazz et la soul se côtoient en un melting pot grooveux et foisonnant.

La musique chaloupée sinue et vibre au son du spoken word de Sharrif Simmons, des platines de DJ Grazzhoppa, traversée par les solos inspirés de l’alto de Pierrick Pédron, de la guitare de David Gilmore, du piano de Grégory Privat et des voix soul de Catherine Russell et Georgia Heers.

Difficile de résister à ces rythmes endiablés, à ces voix envoutantes, à la rythmique implacable de Washington, Sonny Troupé et Gene Lake.

Un final enthousiasmant pour terminer cette première soirée du Gaume jazz Festival.

Samedi 09/08

Le pianiste tunisien établi en Belgique Wajdi Riahi, je l’avais déjà remarqué au sein de l’Aleph Quintet avec lequel il se produisait dans le cadre de Gaume Jazz 2024, une formation dont j’ai également chroniqué le CD ici même.

Cet été c’est en trio qu’il se produit sous le grand chapiteau avec Basile Rahola à la contrebasse et Pierre Hurty à la batterie, et ce qui frappe d’emblée c’est la subtilité du toucher et le sens de l’espace du pianiste, accompagné tout en finesse par la paire rythmique.

C’est une musique d’une grande douceur mais qui sait également faire monter la tension qui se déploie sous les doigts des trois hommes dont l’entente est patente.

Le phrasé du piano est éminemment fluide et alterne les longues lignes mélodiques de la main droite et les accords syncopés savamment parsemés, qui tissent une toile harmonique d’une grande richesse.

Par moments chanté et teinté d’influences orientales, le répertoire est original et de la plume du leader qui réussit magnifiquement à combiner une culture jazz et maghrébine, apportant ainsi à son trio une coloration inédite qui le démarque de la multitude des formations de ce type.

C’est une tout autre atmosphère que nous propose la pianiste belge Eve Beuvens, ne serait-ce que par la composition de son trio, complété par la contrebasse de Lennart Heyndels et la voix de Lynn Cassiers. Une vision intimiste et qui laisse une large place au silence comme à l’électronique.

Personnellement je suis moyennement réceptif à cette esthétique assez aride mais il faut lui reconnaître une originalité certaine.

Pas de piano dans le quintet Määk, un groupe phare du jazz belge contemporain.

Deux saxophones (Grégoire Tirtiaux et Sylvain Debaisieux), une trompette (Laurent Blondiau), un tuba (Michel Massot) et une batterie (Samuel Ber), voilà de quoi offrir aux oreilles ouvertes une palette de sons et de rythmes innovants.

C’est donc une musique hautement colorée, festive et bruitiste qui fait la part belle à l’humour et à la virtuosité que nous proposent ces cinq vétérans du jazz du Plat Pays, un jazz qui n’offre aucune prise à la platitude et dont les musiciens sont à la fois des solistes de haut niveau et rompus à une pratique collective où se mêlent la rigueur et la liberté d’une sorte de mini fanfare.

C’est une musique inspirée par les paysages et la spiritualité de l’Inde du nord que propose la flûtiste et chanteuse franco-syrienne Naïssam Jalal.

On est certes assez loin du jazz mais le piano de Leonardo Montana et la batterie de Zaza Desideriomaintiennent une pulsation ternaire et des harmonies occidentales et la flûte de la leadeuse n’est pas en reste dans ses soli habités.

Quant à sa voix, puissante et pleine de nuances, elle ne peut laisser indifférent.

Au total c’est une musique pleine de feeling et aux contours chatoyants qui maintient sous son charme le public nombreux du grand chapiteau. 

Dans une salle municipale un peu en dehors des principaux lieux du festival se produisait un duo inconnu de la plupart des spectateurs mais qui fit le plein tant il suscitait de curiosité.

Et ce public nombreux fut loin d’être déçu.

Le duo du saxophoniste français Frank Wolf et de la joueuse de koto japonaise Mieko Miyazaki c’est d’abord la rencontre de deux sonorités distinctives et, en ce qui concerne le souffleur, c’est le sax soprano qui se marie le mieux avec les arpèges du koto.

Celui-ci arbore une sonorité somptueuse qui va de la plus grande douceur aux franges du rugissement et un phrasé d’une grande diversité, parfois proche du rock.

Le sax, quant à lui, déploie un timbre fruité et un phrasé d’une grande fluidité.

Le répertoire est éclectique et inattendu : des compositions originales — dont un magnifique thème en sept temps —, un air alsacien de Roger Siffer aux accents celtiques et une belle interprétation du « Avec le Temps » de Léo Ferré en rappel.

Soit un duo hautement original tant au niveau de l’instrumentation que du répertoire, et sans doute le groupe le plus intéressant de cette partie du festival.

Le grand chapiteau est archi-comble pour China Moses.

Rien d’étonnant puisque le jazz vocal est la branche du jazz ce qui se vend le mieux.

Alors que dire de cette chanteuse qui correspond à tout ce qu’on peut attendre d’une vocaliste « classique » mais qui n’apporte rien de nouveau au genre et se situe bien en deçà de cadettes telles que Cécile McLorin ou Samara Joy ?

Qu’elle est une communicatrice experte qui sait mettre dans sa poche un public auquel elle s’adresse abondamment en français, dans la lignée de sa mère Dee Dee Bridgewater. Que si on accepte sa vision du jazz il n’y a pas grand-chose à lui reprocher. Mais que si on aime les grandes voix du jazz, elle est loin de figurer parmi les plus marquantes. Fermez le ban.

Après plusieurs groupes lorgnant vers les musiques du monde, c’est un changement bienvenu que de découvrir Ndiaz, une formation à l’esthétique ancrée dans un idiome régional : la musique bretonne. Et un idiome revisité de façon innovante, avec une sonorité et une énergie proches du rock.

Et le public du grand chapiteau ne s’y trompe pas puisqu’ici où la plusieurs groupes de personnes sont debout et dansent.

L’instrumentation est originale : un saxophone alto (Thimotée Le Bour), une trompette — qu’il troque ponctuellement pour un biniou — (Youn Kamm), pas de basse mais un accordéon (Yann Le Corre) et une batterie (Jérôme Kerihuel).

Un gros son fortement timbré du fait des trois voix mélodiques et un groove épais qui ne peut laisser indifférent.

Les solos sont rares car c’est le son de groupe qui prévaut, et les lignes mélodiques volontiers répétitives et aux accents traditionnels sont boostées par le tonnerre rythmique d’une batterie puissante.

Voilà une façon particulièrement tonique et enthousiasmante de conclure la deuxième soirée du Gaume Jazz Festival.

Dimanche 10/08

Une partie de l’après-midi du dimanche était consacrée à quelques jeunes groupes flamands dans le cadre d’un partenariat entre Gaume Jazz et le festival de Louvain. Il est vrai qu’il n’est pas toujours facile aux groupes flamands de se faire connaître en Wallonie, comme aux groupes wallons de jouer en Flandre.

Sur les trois formations flamandes invitées on retiendra particulièrement le quintet d’Elis Floreen qui propose une musique chaloupée teintée de pop électrique où la voix haut perchée et intense de la chanteuse occupe une place centrale.

Quant au quartet Bord du Nord du trompettiste Sam Vloemans, il mêle habilement diverses influences (du tango au klezmer en passant par le jazz) et c’est en grande partie son instrumentation atypique (sans batterie) qui fait son charme.

Chacun des instruments, la basse et le piano aussi bien que la trompette et l’accordéon, peut en effet assumer tour à tour un rôle mélodique sur des airs enjoués.

La clarinettiste belge Aurélie Charneux, se produisait en alternance en trio avec basse et batterie, en quintet où elle accueillait le piano d’Eve Beuvens et le violoncelle de Marine Horbaczeski et en trio avec ces deux dernières.

Avec le premier trio c’est une sonorité chaleureuse à la clarinette basse comme à la clarinette droite que l’on entend sur des thèmes souvent d’influence balkanique.

L’interaction est solide, avec une contrebasse au timbre chaudement boisé (Nicolas Puma) et un batteur (Simon Leleux) qui délaisse parfois son set pour des percussions manuelles où il excelle.

En quintet, la musique prend une tournure plus méditative ou dansante et les sonorités des deux invitées apportent une couleur bienvenue.

Quant au second trio, il propose une musique plus répétitive où les trois musiciennes proposent des solos inspirés.

Une autre clarinette était en vedette ce dimanche : celle de Jean-François Foliez dont l’inspiration est plus méditerranéenne que balkanique.

Chacun des membres du quartet Foliez Amato possède une sonorité bien personnelle : Emeline Planchar a une approche très romantique du piano. La contrebasse d’André Klénes est d’une grande douceur et s’entend à merveille avec la batterie discrète et foisonnante de Stéphan Pougin, qui peut également devenir plus puissante et autoritaire et entraîner le groupe sur des chemins plus escarpés.

Quant au leader il arbore un lyrisme plein de nuances, un timbre boisé somptueux et un phrasé d’une grande limpidité qui fit merveille dans un duo habité avec le piano.

La musique du quartet suisse Mohs est à la fois minimaliste et d’une grande densité sonore. La trompette de Zacharie Ksyk et la guitare de Erwan Valazza sont les principales voix mélodiques et tracent des lignes d’une grande fluidité qu’accompagnent de façon robuste et pleine de vigueur la basse électrique de Gaspard Colinet la batterie de Nathan Vandenbulcke. On suit le voyage qu’ils nous proposent avec grand plaisir tant ils ont l’art de créer des atmosphères oniriques que traversent ici ou là quelques lancinances ou boucles électroniques.

La sonorité de groupe oscille entre une douceur rêveuse et une tonicité plus brutale mais dans tous les cas c’est le souci de modeler un son collectif d’une grande sincérité qui prédomine.

Ce sont les Rhythm Hunters de Stéphane Galland qui concluaient en beauté cette édition du Gaume Jazz Festival.

Essentiellement connu comme batteur du trio Aka Moon, Galland est une figure du jazz belge et européen depuis plusieurs décennies.

Cette formation qu’il dirige depuis quelques années est un magnifique sextet où l’on retrouve au piano Wajdi Riahi et que complètent trois souffleurs (deux saxes et une trompette) et la basse électrique de Louise vanden Heuvel.

La polyrythmie incandescente du batteur-leader irrigue des thèmes aux harmonies généreuses sur lesquels les souffleurs, le piano et la basse prennent à tour de rôle des solos pleins d’allant.

C’est une musique d’une grande générosité, touffue et foisonnante dont on ne se lasse pas d’applaudir les évolutions enthousiasmantes.

Ce groupe réunissant des musiciens de diverses nationalités constituait donc une excellente conclusion pour un festival qui nous avait permis d’entendre une variété de voix de plusieurs continents.

Un mélange savant et pertinent concocté par l’inusable Jean-Pierre Bissot, créateur et directeur du festival depuis quatre décennies.

©All Photos Christian Deblanc

GAUME JAZZ FESTIVAL

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