Nous sommes dans un Jazz d’aujourd’hui, aux couleurs très rock, dans un zoo qui rêve de liberté !
Les 13 morceaux de l’album sont présentés en 4 tableaux avec un hommage au percussionniste Guinéen Famoudou Konaté, dans « »Borokoni », un hymne à la passion voire à l’hybris dans le deuxième tableau « Amour Moteur, Matrice« , puis une troisième saison printanière, « Aspettando la Primavera » hommage à Aldo Romano, pour finir par un tableau en mémoire « à nos chers petits disparus » : « Maniacus« ».
Emotion, groove, rythme, tension et lâché prise se croisent tout au long de cet album qu’il faudra bien se garder d’empailler, mais le jouer souvent.
Le batteur, compositeur, percussionniste Gilles Le Rest, leader du groupe Free Human Zoo, nous parle de sa nouvelle création, « Freedom Now ! » (après « Aïki Do Rémy » sorti en 2014)
Gilles Le Rest :
« En 2011, Free Human Zoo est une aventure musicale qui s’est imposée à moi comme une évidence.
Dès ce moment, les thèmes qui me venaient ne pouvaient plus être servis dans un contexte purement acoustique ou seulement jazzy, d’où l’envie très forte « d’entrer en hybridation » (« électrification », mariage des styles et des genres), de creuser de nouvelles pistes.
Encore une fois, ce n’était ni choisi, ni intellectualisé.
Et si on ne trouve rien de bien révolutionnaire dans la musique que le groupe porte aujourd’hui, rien de très « technicien », nous nous attachons à y développer une énergie brute, sincère, sans fioriture, à y « raconter de petites histoires », celle des gens, celle des écosystèmes, celle du vent et de l’eau.
A travers les compositions, cet esprit narratif, « impressionniste », reste central, nodal, comme un accompagnement, une invitation au voyage intérieur, mais aussi un tremplin vers l’Ailleurs.
Je n’aurais jamais pu tenir dans la durée sans le soutien quotidien de mes compagnons en MusiqueS, celui des membres d’Odusseia, notre structure de production, et sans l’amical appui de Stella Vander, de Francis et Marcus Linon (Ex-Tension Records, Kramus Deluxe Studio).
Avec Laurent (Skoczek), nous écrivons les partitions dont nous avons besoin, tandis que Samy (Thiebault) m’aide à structurer la formation, à la maintenir dans une projection d’elle-même. Au-delà de leur lumineux talent, cet esprit d’équipe -sans lequel nous quittons le monde des possibles- reste fondamental, porteur de sens et nous sommes heureux de cultiver notre petit jardin coopératif, un jardin ouvrier …
Les zoos humains ne datent pas d’hier et de « l’exposition » des Amérindiens au XVIème siècle, à la « coloniale » de Paris en 1931, l’humain a toujours aimé exhiber son « dissemblable », en tout cas « l’autre » perçu comme tel, l’exposer comme une bête de foire (Saartjie Baartman, surnommée la « Vénus hottentote »), le plus souvent en le raillant. Cette « tradition » s’est révélée particulièrement tragique et humiliante entre la fin du XIXème siècle et la Seconde guerre mondiale, notamment en France (Jardin d’Acclimatation). Pour le groupe, manier aujourd’hui l’oxymore permet de louer la mémoire de tous ces gens au destin si particulier, tout en faisant la promotion de l’aspect toujours libérateur, émancipateur de l’œuvre d’art. J’ai la conviction profonde qu’au-dedans leurs « enclos », ces pauvres hères se seront « refait » du moral, en chantant et en jouant « librement » leurs musiques, comme en peignant ou en sculptant. Il est aujourd’hui le temps d’une libération générale : savoir se libérer des poncifs, des idées reçues ; savoir accueillir l’Autre tel qu’il est vraiment, et non pas tel qu’on voudrait qu’il soit ; savoir aussi se libérer soi-même de ses propres carcans. Vaste programme, me direz-vous !
Par ailleurs, le zoo est aussi et par excellence le lieu de la « monstration » des animaux. Pour nous tous, les 7,5 milliards d’humains, il est aussi venu ce temps d’un autre regard porté à nos colocataires terrestres, impliquant les notions de respect et de coexistence pacifique, de sauvegarde urgente dans de nombreux cas. En ce sens, la présence du panda du WWF a beaucoup de signification(s) pour moi, tout comme la symbolique de l’Arche de Noé, bien sûr …
Comment traduire tout cela en musique ?
Certainement en tentant de cultiver la sincérité, l’énergie, la joie surtout, et en « mettant en scène » des personnages ou des occurrences qui nous auront fait progresser, je veux dire collectivement, et non l’inverse.
Allant dans le même sens, nous serons tous d’accord pour dire que le Jazz aura été, est, et restera l’une des plus belles aventures d’émancipation humaine qui soient. Nous portons tous en nous, quelque mélopée « congo-squarienne », quelque rythme mandingue ou phrasé peul. Le Jazz, en offrant les clés de l’improvisation à tous, pour tous, rend le monde des possibles immensément riche et enthousiasmant, toujours dans le respect de la culture de chacune et de chacun. D’une complainte du fin fond d’un champ de coton, il est devenu cette sorte de langue commune que nous souhaitions tous, avant même celle des mots, non encore inventée. J’évoque le Jazz et tout ce qui en a découlé, bien sûr, sans ostracisme aucun. Aujourd’hui, toutes les musiques sincères sont étonnement palpitantes et enrichissantes, et j’invite les « jazzwomen and men » toujours adeptes des « chapelles » à s’auto-décloisonner d’urgence, à se libérer au maximum (voir la programmation du Triton, aux Lilas). Il ne s’agira jamais de s’y annihiler soi-même (Debussy et Ravel sont omniprésents à mes oreilles), mais de s’y sublimer. John Coltrane a compris cela bien avant nous, relayé par des gens qui auront beaucoup œuvré à ce qu’il soit reconnu pour ce qu’il est : quelqu’un « en avant », dans le Nouveau.
Aujourd’hui, lorsque j’entends Jazz, j’entends Energie et Partage, rien de plus. Et si d’aucuns aiment à s’y entretenir comme appartenant à une élite feutrée de l’entre-soi, je les invite à rapidement nous rejoindre !
L’hybridation, le métissage, ces lignes de force que nous nous efforçons de promouvoir, tout cela tient en une phrase : « il faut plusieurs couleurs pour que l’arc-en-ciel illumine la Terre ». Ce n’est jamais se trahir que de tenter de magnifier la pluralité des teintes, des pigments, des approches, et il est vrai que de ce point de vue, la décennie des 70’ reste face à nous comme un marqueur des temps. Elle nous inspire beaucoup, vous en conviendrez !
Mais la musique est aussi un artisanat de tous les instants ; elle se fabrique au quotidien, se pratique de jour comme de nuit, et le groupe souffre aujourd’hui de ne pas pouvoir s’exprimer plus que cela. J’espère que 2017 sera pour le FREE HUMAN ZOO l’occasion de jouer davantage sur scène, de faire entendre sa modeste voix, tout comme il sera aussi le temps de mettre en chantier notre prochain album, « No Wind Tonight … » un opus articulé autour d’une très longue pièce (pardon d’avance…), « BAB’Y ». Et si l’improvisation reste la colonne dorsale de notre approche, notre petite musique n’y demeurera pas moins écrite.
Aux côtés de Laurent Skoczek (trombone et trombone arrangé) et Samy Thiebault (saxophone ténor et flûte) -précités-, le groupe est conduit par un très surprenant bassiste, Nicolas Feuger, un très chaloupant pianiste, Emmanuel Guerrero et un très stimulant guitariste, Matthieu Rosso. En tant que batteur, je suis fort aise d’être si bien entouré, tout comme je me félicite chaque jour d’avoir rencontré des compagnons toujours prompts à cette recherche esthétique commune. Sur « Freedom Now ! », c’est Dan Decrauze qui aura enregistré toutes les très belles parties guitare de l’album, alors que les claviers y auront été tenus par « I’M », un pianiste tonique et inspiré.
Quant à la batterie, elle reste mon terrain de jeu préféré. Je suis le même qu’à neuf ans, fan des percussions, des figures de rythme. A ce moment, cela a résonné comme une d’une sorte d’appel ; je tente de cultiver la jubilation de ces premiers instants, même si l’instrument ne me pardonne aucune infidélité ! En l’occurrence, je souffre d’un manque de temps, conservant une autre activité à côté de celle de musicien, de chercheur en MusiqueS, et cela se ressent dans mon jeu, qui n’est pas encore libéré. Le sera-t-il jamais ? J’adore aussi le piano, mais mon approche du clavier « ebony and ivory » reste totalement empirique … »
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