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Lectrices Rebelles, lecteurs Afro, voici mes impressions après une première visite de l’exposition «  Fela. Rébellion Afro Beat  » à la Cité de la Musique à Paris en France.

En compagnie d’un ami fidèle abonné du blog(*),M.N,  bilingue Français-Yoruba, puisqu’il est natif du Bénin, a vécu à Lagos, Nigéria dans les années 1970 et y a rencontré Fela. Ses impressions feront l’objet d’une deuxième visite et d’un deuxième article car cette exposition est pour lui une cure de jouvence, d’énergie et de liberté. 

Fela ne sort pas des bidonvilles de Lagos. Son grand-père paternel était un pasteur anglican, le premier à enregistrer des cantiques chrétiens sur des airs yoruba à Londres en 1922. Son père était professeur et directeur du syndicat des professeurs du Nigéria. Sa mère était une militante des droits de l’homme et de la femme, reconnue nationalement et internationalement. Son éducation politique fut donc précoce. 

Fela (1938-1997) a suivi des cours de musique au Trinity College de Londres au début des années 1960: piano, trompette, saxophone. Les instruments du Jazz. C’est à Londres qu’il a découvert Miles Davis, John Coltrane, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, bref le Jazz moderne qui n’était pas diffusé dans la colonie britannique du Nigeria (indépendance proclamée le 1er octobre 1960).

«  C’est après avoir été exposé à tout ça (à Londres) que j’ai commence à utiliser le Jazz comme un tremplin pour faire de la musique africaine  » (Fela). 

Jeune, avec les joues rondes, Fela ressemble beaucoup au boxeur et militant américain Mohamed Ali. C’est d’ailleurs aux États-Unis d’Amérique, à la fin des années 1960, que Fela complète son éducation politique avec le mouvement des Black Panthers. Ses poings tendus vers le ciel dans ses concerts viennent de là. Faute de visa de travail, il ne peut pas jouer en Amérique sauf à La Citadelle d’Haïti, la boite noire de Los Angeles. Je l’ai fait remarquer à une visiteuse haïtienne. Elle en parlera à son père qui a vécu aux Etats-Unis dans sa jeunesse. 

Pour se faire connaître, Fela achetait des encarts publicitaires dans les deux grands quotidiens du Nigéria, The Punch & The  Daily Times. En plus d’annoncer ses concerts, il faisait passer des messages politiques. Fela est surnommé «  The Black President  » alors qu’il n’a jamais pu se présenter comme candidat à l’élection présidentielle au Nigéria. Sa parole était plus écoutée de la jeunesse que celle des dirigeants officiels. Ne pouvant créer un parti politique, il créa un mouvement de jeunesse, les Young African Pioneers

Fela changea son nom pour l’africaniser. De Fela Ransome Kuti il devint Fela Anikulapo Kuti ( » celui qui porte la mort dans sa poche  » ), nom qui va bien avec son slogan «  Music is the weapon of the future  » («  La musique est l’arme de l’avenir « ). A son domicile, il créa la Kalakuta Republic, république auto proclamée qui échappait de fait aux lois du Nigéria, spécialement à la loi martiale en pleine dictature militaire. 

Quant aux militaires, il leur règle leur compte dans plusieurs chansons dont «  Zombie  » où il se moque de leur façon de marcher, en obéissant à des ordres, comme des zombies justement ( tournez à droite, tournez à gauche, présentez armes, repos, etc.). 

«  Ma musique n’est pas là pour le divertissement. Elle est là  pour diffuser un message  » (Fela).

Le même point de vue qu’Art Blakey & ses Jazz messengers ( «  Nous aurons toujours les moyens de détruire les murs de brique qu’ils construisent devant nous « . Art Blakey). 

Après Dakar au Sénégal en 1966 (Duke Ellington était présent et y fut enregistré), Lagos au Nigéria accueillit en 1977 le 2e festival Panafricain des Arts. Fela créa alors un contre festival, tourné vers le peuple et non pas vers les officiels, où vinrent jouer Stevie Wonder, Archie Shepp, Sun Ra et son Arkestra et l’Art Ensemble of Chicago. Une semaine après la fin du festival, une fois les stars américaines parties, militaires et policiers nigérians, entrèrent dans la maison de  nommée Kalakuta Republic, frappèrent les hommes, frappèrent et violèrent les femmes, jetèrent par la fenêtre du 1er étage Fenminayo Kuti, la mère de Fela, militante politique et syndicale de renommée internationale. Sa hanche fut déboitée et elle en mourut. En 1978, les mêmes policiers et militaires profitèrent d’une tournée en Europe de Fela pour brûler sa maison. Le coupable ne fut jamais retrouvé. C’était l’oeuvre d’un Soldat Inconnu… D’où la chanson «  Unknown soldier  » (1979) de Fela

En plus de sa maison République indépendante, Fela disposait aussi de sa salle de concerts à Lagos: lieu de musique, de prière et de militantisme politique, l’Afrika Shrine (Le Sanctuaire Africain). Depuis la mort de Fela a été ouvert à Lagos, le New Afrika Shrine, qui célèbre sa mémoire et permet à la jeune scène nigériane de jouer. Images et vidéos de l’ancien et du nouveau Shrine figurent dans l’exposition. 

«  J’étais le bassiste de James Brown et je faisais partie des JB’s. Je croyais jouer dans le groupe le plus funky au monde. Puis Fela nous a invité chez lui, à Lagos, au Shrine, pour un concert de son groupe Afrika 70. Nous sommes entrés dans la salle. Dès que l’orchestre a commencé à jouer, j’ai compris mon erreur. Le groupe le plus funky au monde, ce n’était pas nous. C’était eux.  » (Bootsy Collins). 

Comme l’exposition est pour tout public, elle n’explique pas un fait qui saute aux yeux et aux oreilles en regardant et en écoutant Fela :L’importance du sexe dans sa vie.

Il épousa ses 27 choristes en danseuses dans une cérémonie polygame africaine en 1977. Ne prenant pas de précaution, il mourut du SIDA. Le fait ne fut pas nié longtemps, car ses frères médecins l’expliquèrent à la télévision nigériane, en profitant pour donner une leçon d’éducation sexuelle à la population. La musique de Fela a un rythme implacable qui dure, dure, dure. Parfaite pour la pratique de tout sport d’endurance et pour l’activité sexuelle aussi. 

Anti colonialiste, Fela n’était pas féministe. La preuve, il était polygame. Des dizaines de femmes vivaient à son service , chantant, dansant, cuisinant, faisant les courses, le ménage et partageant son lit à tour de rôle. Certaines par dépendance économique, d’autres par fascination pour le personnage. 

L’afro centrisme de Fela se manifeste par son nom, ses discours, ses lectures et ses tenues vestimentaires. Belle collection dans l’exposition de tenues de scène et de slips made in Nigeria. Fela était mince, contrairement à la tradition africaine qui veut qu’un homme riche soit gros puisqu’il peut manger plus qu’à sa faim. Le port du slip lui permettait de montrer son corps svelte et les traces des coups reçus des policiers et militaires nigérians. L’exhibition de son corps était donc une mise en cause du régime de dictature militaire alors en place au Nigéria. En plus d’un objet sexuel pour ses admiratrices. 

Par principe, Fela n’était pas d’accord avec le régime en place au Nigéria, pays le plus peuplé et le plus riche d’Afrique. «  No agreement today, no agreement tomorrow  » (Pas d’accord aujourd’hui. Pas d’accord demain). Cf extrait audio :

Après les années 1970 en Afrique (Nigeria, Ghana, Cameroun), Fela joua de plus en plus en Europe dans les années 1980. Le groupe Afrika 70 devint Egypt 80 avec un son plus symphonique. Quand un critique reprocha à Fela de jouer des chansons de 30mn, il répondit: «  Reprochez-vous à Beethoven d’avoir écrit des symphonies trop longues ? « .

Plein d’autres merveilles visuelles et sonores sont à découvrir dans l’exposition «  Fela. Rébellion Afro Beat  » à la Cité de la Musique, à Paris, en France, jusqu’au dimanche 11 juin 2023.

La vidéo sous cet article a été enregistrée au Berlin Jazz Festival (RFA), édition 1978. Cette édition ne comprend pas le discours politique de Fela qui introduit le concert et la chanson «  Pansa Pansa « . Un titre qui n’est pas du yoruba mais du «  broken english « , l’anglais des rues de Lagos. 

Votre traduction est la bienvenue, lectrices Rebelles, lecteurs Afro. Selon les principes établis par les grands orchestres de Jazz ( Le Monde a commencé par un Big Band!), les musiciens portent tous la même tenue, sauf le chef qui se distingue.

A voir et écouter en entier, sur grand écran, avec sous-titres en français dans l’exposition « Fela. Rébellion Afro Beat » à laCité de la Musique, à Paris, Ile de France, France, jusqu’au dimanche 11 juin 2023.

 

Exposition à La Philharmonie de Paris. du 20 octobre 2022 au 11 juin 2023. Fermé le lundi.

(*) : Le Blog de Guillaume Lagrée, Le Jars Jase Jazz est visible ici. Guillaume Lagrée anime également  l’émission du même nom, le Jars Jase Jazz, tous les lundis à 22H et les vendredis à 12H, sur Couleurs Jazz Radio.

©Photos Ndiagne Adechoubou

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