Emblématique poly instrumentiste trop tôt disparu, Eric Dolphy vient de voir sa flamme se rallumer au Panthéon du jazz à l’occasion de la sortie d’un triple CD.
Son décès à l’âge de 36 ans à Berlin le 29 juin 1964, lors d’une tournée européenne, d’une crise cardiaque consécutive à un diabète, mettait fin à une carrière d’à peine six années qui l’avait élevé au rang de génie, de prophète musical et de passeur.
Qu’il empoigne le saxophone-alto, la flûte ou la clarinette basse – dont il fut l’un des précurseurs et à qui il donna véritablement ses lettres de noblesse – Eric Allan Dolphy, également compositeur prolifique, fut un don du ciel pour tous les musiciens qui souhaitaient développer le langage du jazz.
Photo by ©Don Schlitten
Révélé fin des années 1950 au sein de la formation du batteur de la West Coast, Chico Hamilton, puis compagnon de route de Charles Mingus, c’est principalement au contact de ses amis Ornette Coleman et surtout John Coltrane qu’il commence à entrevoir l’évolution du jazz d’alors vers d’autres horizons, mélodiques, harmoniques et modaux. Jusqu’à bousculer l’ordre et les cases – plus totalement hard-bop et pas encore free jazz – pour créer une certaine forme de désordre sous contrôle.
Et ainsi devenir un « passeur » comme l’écrivit la presse spécialisée de l’époque. Autrement dit, un musicien qui ne reniait nullement le passé mais voulait l’imbriquer dans une musique en complète (r)évolution.
Meilleur exemple de ce « passage », sa reprise (à la flûte) de « Jitterbug Waltz« , un thème écrit par le pianiste Thomas « Fats » Waller en 1942.
Un titre, comme d’autres tout aussi phares, faisant partie d’un fantastique triple Cds (également en vinyle 3 LP) intitulé précisément « Eric Dolphy Musical Prophet – The Expanded 1963 New York Studio Sessions » (Resonance Records/Bertus France).
Ce monument discographique comprend la réédition de deux albums devenus extrêmement rares – « Conversations » et « Iron Man« , produits tous deux par Alan Douglas et enregistrés entre le 1er et le 3 juillet 1963 – et surtout un lot très important de prises alternatives (7) des titres gravés pendant les deux séances, inédites en disque (2) et un bonus track. Le tout sublimé par un excellent et très exhaustif livret , comprenant des analyses et essais très pertinents et instructifs, divers entretiens et des photos inédites du photographe français Jean-Pierre Leloir.
Quant aux sessions, le leader éclairé avait fait appel à des jazzmen complices et aussi aventuriers que lui : Woody Shaw (trompette), William « Prince » Lasha (flûte), Huey « Sonny » Simmons (saxe-alto), Clifford Jordan (saxe-soprano), Woody Shaw (trompette), Garvin Russell (basson), Bobby Hutcherson (vibraphone), Richard Davis et Eddie Kahn (contrebasse), J.C Moses et Charles Moffett (batterie).
Si la redécouverte des deux disques initiaux permet de replacer ce disciple et ami de John Coltrane dans le contexte historique du jazz contemporain, l’immense richesse de cette réédition se trouve dans les 85 minutes jusque-là oubliées.
De celles-ci se dégagent bien sûr les plages avec les diverses formations et solistes – Woody Shaw (dont c’était les premiers enregistrements) et Bobby Hutcherson impériaux – mais aussi deux courtes versions de « Love Me« , où Eric Dolphy s’exprime en solo au saxophone-alto et, surtout, les deux déclinaisons de « Muses for Richard Davis« , où il converse avec frénésie et inventivité à la clarinette basse avec celui qui fut son bassiste attitré, Richard Davis.
« C’était un ange ! Il apportait une réponse à la façon dont je voulais jouer : en toute liberté« , avait-il déclaré lors d’un entretien à la revue américaine Down Beat.
Le chef d’œuvre indispensable d’un visionnaire et d’une étoile filante du jazz !
A lire :
« Eric Dolphy » par Guillaume Belhomme – Editions Lenka Lente (2018)
« Eric Dolphy – A Musical Biography & Discography » par Vladimir Simosko & Barry Tepperman – Smithsonian Institution Press – Washington D.C. (1974)
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