Le pianiste Anglais Dave Bristow publie sur le label JMS, son premier album en quintet, Unknow, Unknown. Le terme « talent émergent » nous semble coller parfaitement à cet artiste entier, étonnant, et plein d’idées.
Une personnalité à découvrir dans les lignes qui suivent, car l’interview nous a semblé la forme la plus intéressante, tant il a de choses à nous dire.
Couleurs Jazz : Bonjour Dave Bristow, vous venez de sortir, au moment du déclin de la phase dure du Covid, un album, un debut album je crois, au nom étrange : Unknown, unknown. Drôle de titre. Inconnu inconnu répété deux fois.
Vous pouvez nous expliquer ce choix dans le titre d’abord ?
L’inconnu étant infini, et bien plus large que le domaine de la connaissance.
Dave Bristow : C’est une phrase que j’ai trouvée dans un petit livre de Mark Forsyth, un essai dans lequel il a tenté d’expliquer la joie que l’on éprouve en trouvant un article dans un magasin, alors que nous n’imaginions même pas en entrant, l’existence d’un tel objet. Donc la joie de découvrir quelque chose d’inconnu. J’ai trouvé ça intéressant parce que c’est un peu comme chaque fois que l’on improvise. On pense faire quelque chose et c’est quelque chose de différent qui apparait. C’est exactement comme ça dans le monde du jazz et dans le monde de l’improvisation. Et donc c’est important pour moi d’expérimenter dans ce respect. C’est aussi le sentiment que j’ai après la création d’un album qui est d’ailleurs mon premier album. Donc un monde inconnu pour moi. Je n’avais pas d’idée au départ de ce que cela allait donner. D’où ce titre qui peut paraître étrange en effet.
CJ : Pouvez-vous nous parler de vous ? Pianiste Anglais installé à Paris, ce qui n’est pas si courant… Ceux qui suivent Couleurs jazz et l’actualité du jazz savent à peu près ça de vous uniquement puisque « Unknown, Unknow » fut présenté dans la Couleurs Jazz Week et qu’il est toujours en sélection dans Couleurs Jazz Radio.
Qui êtes-vous donc, Dave Bristow ?
DB : En fait je suis à Paris parce que j’ai suivi ma copine. Par amour donc. Je n’avais aucune idée ni expérience…
CJ : Pas d’expérience des femmes ? (Rires…)
DB : Oui c’est ça ! Pas d’expérience de la vie à Paris et avec une femme que j’ai rejointe ici en 2018. Nous nous étions rencontrés en Angleterre. Puis elle est rentrée en France au bout de deux mois, d’où ma décision de la rejoindre. A Paris j’ai donc rencontré beaucoup de musiciens qui m’ont aidé à améliorer mes compétences dans le jazz… Et en français aussi… !
CJ : Bon mais ensuite très vite il y a eu le Covid…
DB : Oui c’était difficile, surtout quand on est musicien de jazz car c’est très important de se confronter à d’autres, de jouer avec les autres. Car grâce à leurs influences, on s’améliore. Mais la bonne opportunité de cette période fut de pouvoir s’isoler et écrire, écrire… composer, construire un projet. Et à la fin de cette période il y a eu un album qui était prêt à être enregistré après les répétitions qui ont pu enfin recommencer.
CJ : Revenons à l’album donc. On peut dire que vous avez limité les risques avec une telle équipe à côté de vous : Olga Amalchenko au sax, Christian Altehülshorst, trompette, Gabriel Pierre contrebasse, Guillaume Prévost batterie. Et plein d’invités : Caloé, Simon Moullier au vibraphone, et Gustave Reichert à la guitare…
DB : Oui, en fait j’ai rencontré tous les musiciens, sauf un, dans un club de jazz de Paris, Le Baiser Salé. Toutes ces rencontres se sont faites lors de jams. Guillaume (Prévost) notre batteur habite pourtant à Toulouse, mais il vient souvent pour des jams à Paris et j’ai le souvenir d’une jam un matin vers 7H avec Gabriel (Pierre) nous avons joué Cherokee.C’était dingue. Je me suis dit qu’il me fallait jouer encore plus souvent avec eux, là. C’était aussi le cas avec Christian(Altehülshorst) ou Olga (Amalchenko) mais eux avaient plus de contrats et de projets ailleurs. Christian est peut-être le premier avec qui j’ai pu jouer. Il a un goût pour s’habiller très étrange. Des pulls avec des animaux particuliers… Il a un style expérimental et beaucoup d’humour.
J’ai couru les jams bien sûr dans les autres clubs de la capitale, le Caveau des Oubliettes, le 38 Riv, le Sunset, le Duc des Lombards, le Caveau de la Huchette, Le Nouveau Cosmos…
Je continue d’ailleurs à visiter régulièrement les clubs pour écouter et jouer avec les autres, parce qu’il y a beaucoup d’excellents artistes de jazz en France et à Paris en particulier. J’apprends…
CJ : Toutes les compos (12 titres) sont de vous ? qu’est-ce qui vous a conduit à ça ?
DB : Oui toutes les compositions sont de moi. C’est un processus qui tient sur plusieurs années en fait. La plus ancienne c’est Aurora Borealis que j’ai écrite en 2011, pendant mes études à Leeds. C’est la même chose pour « Opening Theme » (qui ouvre l’album) pour « Nietzsche’s beard » ou « Sunbeans » La plus récente étant « Labyrinth » sur des rythmiques changeantes (contrefacts) en Anglais, influencées par Frank Zappa, une mélodie assez étrange. Moins mélodique que les autres titres. Il y a aussi du John Coltrane des années ’60, dans une autre partie de ce morceau. C’est un mélange de ces différentes inflences. Olga la saxophoniste a trouvé que c’était le morceau le plus compliqué à jouer. Il y a beaucoup d’intervalles très larges, pas facile à chanter non plus… Pour être honnête j’ai beaucoup d’influences en moi venant de nombreux compositeurs. Mon but est de créer des mélodies que l’on peut facilement chanter et retenir. Et donc sur ce titre c’est quelque chose d’un peu différent que je voulais.
Sur chaque titre j’ai aussi eu l’envie de créer des univers différents.
CJ : Vous donnez beaucoup d’importance aux mélodies. Tous les titres en possèdent de fort belles, mis à part les arrangements qui arrivent ensuite, et les chorus des différents intervenants qui viennent ajouter leurs pierres précieuses. Mais déjà les thèmes sont fort beaux. Optimistes plutôt, voir enthousiastes aussi contemplatifs comme « Réfractions »…
DB : Oui tous les thèmes sont assez optimistes mais variés car j’ai voulu exprimer la diversité des expressions humaines avec des sentiments aussi un peu plus tragiques comme dans « UB14 » ou « Humanis ».
CJ : UB14 est un thème très posé, non ?
DB : oui en fait il y a une traduction au titre UB14 c’est Ubiquity Brave 14. C’est donc l’histoire d’un camp de prisonniers en Russie. C’est inspiré d’un essai d’une activiste qui s’appelle Nadejda Tolokonnikova, appartenant aux Pussy Riot et qui fut envoyée dans un camp par Poutine pendant 3 ans. PC14 était le nom de ce camp dans lequel beaucoup de ces femmes sont mortes à cause des abus subits et des conditions de détentions. Pourtant il y avait un vent d’espoir dans ce camp, malgré la tragédie qui s’y déroulait. J’ai été touché par ça. Aussi j’ai créé cette composition en respectant le côté tragique mais aussi l’espoir et la fierté de ces femmes.
CJ : Olga Amalcheko a dû être touchée également par cette histoire !
DB : Oui, car elle vit à cause des événements actuels un temps difficile. Cette composition est antérieure aux derniers événements. Mais ça a du sens quand même hélas.
En effet le revers de cette musique enthousiaste est constitué d’influences d’auteurs tragiques comme Mendelssohn. Mes inspirations en musique classique viennent aussi de Chopin ou Rachmaninov. Sur « Reflexions, à la base, il s’agit d’une étude de Chopin. (opus 25 #1) une étude d’arpèges en La Bmol, mais dans une tonalité un peu différente.
CJ : Il y a aussi en guest une chanteuse, Caloé ?
DB : Oui elle est magnifique ! c’est la seule chanson en français. J’aime beaucoup l’idée de compositions qui peuvent être chantées. Les paroles sont de Caloé ce qui donne plus de personnalité et d’implication à ce titre (Rélexions). Il y a des instants chantés très hauts, d’autres avec beaucoup de retenue. C’est vraiment très intéressant.
CJ : Que pensez-vous du jazz aujourd’hui ? Pourquoi avoir choisi cette voie difficile ?
DB : J’adore le jazz. Je pense qu’il y a beaucoup d’espoir pour son avenir. Il y a tellement d’artistes excellents à travers le monde et qui perpétuent la tradition d’une musique déjà si riche. Je suis très content de faire partie de cette tradition et de donner ma part personnelle. C’est certainement une façon de vivre difficile quelquefois, mais j’ai tellement d’admiration et d’inspiration pour cette musique. C’est une musique de liberté. À la base une musique africaine qui de ce fait également, m’inspire beaucoup de respect. C’est une musique très ouverte que l’on peut mélanger avec beaucoup d’autres musiques. C’est une musique parfaite pour un artiste qui voudrait expérimenter, créer. A mon avis c’est une musique sans limites. Quelquefois on perd des auditeurs à cause de ça, mais c’est une musique qui n’est jamais ennuyeuse et qui continue d’évoluer.
CJ : Nous ne pouvons qu’acquiescer à de tels propos. Mais d’ailleurs ce qui est intéressant c’est qu’à l’inverse de certains artistes, vous revendiquez le jazz alors que quelques uns de vos confrères semblent avoir un peu honte de dire qu’ils font du jazz. Pas honte, mais ils essaient presque de cacher et ils ne revendiquent pas le terme de jazz… Pour ne pas effrayer les auditeurs peut-être…. Qu’en pensez-vous ?
DB : Je pense que le jazz en effet peut embrasser tous les autres genres musicaux. Il n’en reste pas moins que c’est très important pour les musiciens d’aujourd’hui de respecter les traditions du jazz car c’est une musique très riche avec beaucoup d’innovations. Respect de la tradition d’un côté et créations nouvelles de l’autre. C’est ça le boulot du musicien de jazz d’aujourd’hui. Trouver sa propre voie personnelle. Bien sûr la création unique sans connaissance du passé qui sort de nulle part, peut arriver. Mais c’est important de connaitre la tradition.
Pour moi sur l’aspect compositions, il s’agit de trouver des choses inconnues (Unknown…), même si cela débouche sur des choses compliquées à interpréter parfois. J’ai le sentiment que c’est juste. C’est ça que je dois faire. C’est cela qui m’intéresse. En m’écoutant on doit bien déceler des influences que j’ai. C’est difficile à éviter cela. Mais ce n’est pas le plus intéressant ; l’intéressant c’est d’ouvrir de nouvelles voies, de découvrir de nouveaux chemins.
L’improvisation est une forme de composition en fait. Ayant beaucoup de respect pour les auditeurs, je m’attache à composer des thèmes qui les inspirent que l’on peut retenir et chanter, voir sous la douche ! C’est compliqué pour les artistes de jazz car il y a une tradition d’aller vers des choses de plus en plus compliquées parfois. Certains improvisent dans toutes les gammes, toutes les tonalités, jouent toutes les notes… Les thèmes sont les véhicules de ces improvisations. C’est important. Quand on entend John coltrane qui a lancé cette tradition des « Sheets of sound» c’est très compliqué. Il y a les extensions de tous les accords tout le temps… Mais je crois que c’est important d’écrire de la musique accessible à tous. Et si ma musique peut aider les gens. Si ils peuvent se sentir bien ou mieux en l’écoutant, c’est ce qui m’importe.
Par exemple en écoutant l’album Giant Steps, de John Coltrane, c’est très compliqué, mais tu peux retenir toutes les mélodies, tu peux rechanter toutes ces musiques comme Naïma, Cousin Mary, Spiral… ou même chose avec Monk… Il a écrit 80 morceaux dont je crois que je peux me rappeler de tous les thèmes. Il a un style par ailleurs si unique, si compliqué à imiter. Ceux qui essaient pour la plupart, échouent… !
CJ : Vos projets à court et à moyen terme ?
Alors j’ai écrit plus de 200 petites compositions, des thèmes courts, entre 20 et 50 secondes. Et j’aimerais écrire un livre d’exercices de compositions. Cela pourrait aider ceux qui veulent développer les harmonies autour de ces thèmes. J’ai aussi six préludes pour pianos que j’ai écrits et que j’aimerais enregistrer. Mais c’est plus un album de musique classique plutôt que de jazz. J’ai aussi comme projet de créer un deuxième album pour ce quintet. Avec les mêmes musiciens. Je voudrais y inclure davantage d’électronique pour avoir des timbres différents.
J’aime aussi l’idée d’improviser uniquement sur le piano acoustique et d’ajouter des sons de Rhodes, d’orgue électronique et d’ajouter un chanteur aussi, pour communiquer mes sentiments à propos de l’actualité. Donc je voudrais écrire des paroles.
J’aimerais également inviter un guitariste pour mon prochain projet. En fait je compose souvent à la guitare. Je ne suis pas à proprement parler un guitariste, mais j’ai l’oreille absolue et je suis très influencé par des guitaristes come John Scofield, Pat Metheny ou Kurt Rosenwinkel. J’ai retranscris leurs musiques et ça m’a donné l’envie de composer pour la guitare, car je suis fasciné par les guitaristes. Mais évidemment, je suis pianiste. Mais j’aimerais donc inclure la guitare dans un prochain projet.
C’est vrai que dans ce premier disque, j’ai invité Gustave Reichert sur deux titres (Aurore Borealis et Nietzsche’s Beard). J’adore cette influence qui me permet d’explorer le monde du rock, car je suis un grand fan du jazz fusion. En improvisation, la langue des guitaristes est très différente de celle des pianistes et autant les pianistes ont un passé très riche en classique de Chopin à Bach, en passant par Olivier Messiaen et tous ces compositeurs du XXème siècle, puis tous les grands compositeurs-improvisateurs comme Herbie Hancock, Keith Jarrett, Brad Mehldau… Je suis donc influencé par ça, mais je pense qu’il y a un terrain d’exploration à partir de la langue des guitaristes. Alors ça m’intéresse de retranscrire le travail, des bassistes à main gauche et des guitaristes à main droite. J’apprends beaucoup avec ce travail de transcription de ces grands guitaristes. C’est un monde différent pour moi et il m’intéresse beaucoup. Je suis heureux de faire ça. C’est une voie d’avenir pour moi. Comme quoi ce n’est pas la fin du jazz, il y a beaucoup de terrains d’investigations à découvrir. Chaque idée nouvelle peut aboutir sur quelque chose d’intéressant. J’aime expérimenter chaque jour.
CJ : Une dernière question. Un rêve ?
DB : Comme je l’ai déjà exprimé, j’ai un rêve, celui de travailler avec ces trois guitaristes très grands que j’ai cités précédemment. J’aimerais aussi discuter compositions avec Herbie Hancock car il est avec Oscar Peterson, ma première influence. J’ai une dette envers lui. Je ne peux décrire toute l’influence qu’il a eu sur moi. Avec chacun de ses albums j’ai appris quelque chose : comment on approche le swing, comment on compose, l’interaction avec les autres membres du groupe, l’énergie du jazz, les changements d’accords. Donc lui, Bill Evans, Keith Jarreth et d’un autre côté et plus récemment à l’opposé Barry Harris, une autre direction, qui protège la tradition du Bebop. Ce mélange d’influences peut paraitre un peu étrange, mais quand j’ai commencé à improviser je me suis aperçu qu’il manquait quelque chose. Certainement un manque de Bebop et c’est Barry Harris dont il fallu que je tire l’inspiration. En commençant j’ai évité des grands noms comme Charlie Parker, Thelonious Monk, Bud Powell, mais en arrivant en France, j’ai réalisé l’importance de ces compositeurs aussi. Le Bebop devient mon nouveau point de départ aujourd’hui car il me permet d’expérimenter encore davantage. Ça apporte technique et ouverture vers d’autres options, plus que les modernistes.
C’est un boulot énorme de mélanger le passé avec le moderne, mais c’est le choix qui me ravit et que je partage avec mon groupe de musiciens incroyables. En particulier à Paris. Je suis très heureux d’être ici pour ça. En Angleterre à Londres, j’étais entouré d’une scène incroyable également. Mais là-bas il y a un problème énorme de distance. Londres est très étendue ; l’équivalent de toute l’Ile de France… Au Centre de Paris on peut trouver tous les soirs tant de genres de jazz différents.
Line Up:
Dave Bristow, piano, compositions
Christian Altehülshorst, trompette
Guillaume Prévost, batterie
Olga Amelchenko, saxophone
Gabriel Pierre, contrebasse
Invités:
Simon Moullier, vibraphone
Caloé, voix
Gustave Reichert, guitare
« Unknow, Unknown » est un album du label JMS
Photos: Gaby Sanchez pour Couleurs Jazz.
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