Le pianiste du Gard a relevé un défi : se couler dans les mélodies de Michel Petrucciani, l’improvisateur éblouissant, mort il y a 21 ans. Laurent Coulondre ne se doutait pas que c’était impossible : alors il l’a fait. Ses doigts se fondent dans les rêves du pianiste aux os de verre. Les rêves qui nous avaient charmés. L’album Michel on my Mind, sorti en août 2019, enveloppe, convainc, a marqué l’année.
Laurent Coulondre décroche prix sur prix (Académie du Jazz 2019 – Meilleur disque français de l’année – Victoire Révélation du jazz 2016 – Musicien de l’année + Hit Couleurs Jazz – Nominé Victoires du Jazz 2020 dans la catégorie Artiste instrumental. Le Vauverdois saisit au vol l’harmonie d’une musique empreinte de générosité qui balance entre modernité et tradition. Ecoutez Bite. Entouré de Jérémy Bruyère (contrebasse) et d’André Ceccarelli (batterie), armé d’une mise en place et d’un sens rythmique supérieur, d’un jeu de basses époustouflant, Coulondre re-sensibilise le répertoire de «Petrou». Ajoute deux compositions ultra-chantantes (Michel on my Mind – Chorinino), lesquelles ne déparent pas le répertoire du maître.
Habitué des programmations du festival de Vauvert Jazz 70, Coulondre s’est produit le mardi 26 mai 2020 sur la page Facebook de Jazz70 à l’occasion du 50ème anniversaire du festival de Vauvert. Son premier concert en live stream. Conversation entamée lors de la soirée de Palmarès de l’Académie du Jazz, le 27 janvier 2020, poursuivie début juin.
INTERVIEW LAURENT COULONDRE
Comment as-tu réagi à l’avalanche de récompenses en 2019, en quelque sorte la consécration par tes pairs et les medias ?
Depuis le début des projets en leader, j’ai cherché à trouver le meilleur moyen de me faire entendre. J’ai choisi le jazz. Ou le jazz m’a choisi, qui sait? Ce n’est pas la musique la plus médiatisée. Alors j’ai trouvé que les concours de jazz seraient une bonne voie. J’ai commencé avec des petits concours. Puis j’ai eu la chance de gagner celui de Jazz à La Défense, puis les Victoires du Jazz en 2016 (Révélation). Le parcours s’est accéléré. En 2019, la totale. L’avalanche m’apporte certes la reconnaissance du métier. Surtout, elle contribue à me persuader que je voyage dans la bonne direction. Les artistes sont des chercheurs insatisfaits, toujours en quête de nouveautés et de stimulations diverses. J’apprécie les récompenses, avec une joie immense. Elles permettent à ma musique d’être entendue par un public élargi, de décrocher davantage de concerts, de vendre des disques. C’est à chaque reprise un cadeau de la profession et des médias. Je n’oublie jamais ceci : tout peut s’arrêter. J’en profite donc au maximum (… croisement de doigts pour les Victoires 2020).
Michel on my Mind chante de bout en bout, révèle un talent exceptionnel de mélodiste. Dans quelles circonstances, dans quel esprit, l’as-tu conçu ?
Cela fut une grande première d’enregistrer sous mon nom autre chose que mes propres compositions. Je me suis par conséquent fixé une stratégie pour construire l’album. Michel Petrucciani me hante (positivement bien sûr !) depuis que j’ai 10 ans – soit 1999, l’année de sa disparition. Aucun pianiste ne m’a davantage influencé dans toute ma carrière. J’avais commencé avec She Did It Again. Peu après avoir découvert le solo, je l’ai relevé. Et joué. Une première. J’ai continué avec d’autres compositions, cela avec un premier trio formé à l’école de musique de Petite Camargue de Vauvert. Et de temps en temps sur des concerts thématiques en région parisienne. Enfin en duo avec la chanteuse Laura David (elle avait écrit des paroles sur les compositions de Michel). Dans la foulée, le périodique Jazz Magazine m’a donné carte blanche acoustique au club Le Bal Blomet (Paris 15e) : j’ai choisi un hommage à Michel Petrucciani. De nombreux professionnels et proches de Michel, présents à la soirée, m’encouragent alors à réaliser un projet sur ce travail. L’idée a germé. J’ai décidé de cristalliser les années d’amour de la musique de Michel dans Michel on my Mind. Au début, très compliqué de choisir les morceaux préférés !
La question persistait pendant les arrangements : comment garder l’âme de Michel sans céder au plagiat, tout en conservant mon identité d’artiste? J’ai choisi de ne pas m’éloigner des originaux, cependant de passer quand même de légers coups de pinceaux. Ceux-ci offrent une lecture parallèle, différente, personnelle. Ensuite, contrairement à mes autres disques, j’ai décidé d’être un peu moins dans le contrôle de la perfection. Je me suis simplement dit, « T’écoutes Michel depuis que t’as 10 ans, tu l’adores, tu le respectes : connecte-toi à la musique, laisse toi aller, ça va bien se passer ». Idée payante, car nous avons souvent gardé les première prises (au Studio Besco). Je n’ai rejoué aucun solo, très peu de retouches sur l’ensemble. L’on a essayé de rester nous-mêmes au travers de la musique de Michel.
Relevons deux entorses à la règle. En effet, je ressentais l’envie de lui rendre hommage par mon écriture. J’ai composé Michel on my Mind et Chorinino. On les a abordés de la même manière. Ensuite, une ballade ouvre l’album, cela pour orienter l’auditeur dans une ambiance plus tendre. Nouveau pour moi.
Les portes se sont ouvertes. Jazz in Marciac t consacre une soirée sous le Châpiteau, en 2019. Tu restes nommé aux VICTOIRES 2020. As-tu le sentiment que la crise sanitaire (concerts annulés etc.) contrecarre l’envol ?
J’entamais la période la plus chargée de ma carrière (plus de 65 concerts annulés) : j’ai accusé le coup. Au début, un passage à vide. De toutes façons, tout le monde rame dans le même bateau. J’espère que la dynamique ne changera rien. Mais c’est sûr : ça ne va pas aider..
Comment envisages-tu la suite ?
De grosses remises en question, comme sans doute beaucoup d’artistes, techniciens, producteurs.. Espérons que la séquence de confinement redonnera envie aux gens d’aller voir de la musique en live; renforcera les programmations nationales et locales et puis c’est une période inédite qui à priori n’arrive pas souvent dans une vie.
Tu t’es produit en live sur la page FACEBOOK de l’association Jazz70 : qu’est-ce qui a motivé le projet? Quelle leçon tires-tu de l’expérience ?
Stéphane Kochoyan, le directeur artistique, me connaît depuis que j’ai 11 ans. Il m’a donné des cours lors des stages de jazz à l’Ecole de musique de Petite Camargue de Vauvert (la commune française située dans le département du Gard, en région Occitanie). Kochoyan m’a lancé comme soliste ou leader sur des scènes magnifiques comme le Théâtre Antique, dans le cadre du festival Jazz à Vienne; le Festival Les Nuits du Jazz; le Festival l’Agglo au Rythme du Jazz; Jazz à l’Evêché. Quand il m’a contacté pour me dire que Jazz70 fêtait ses 50 ans, aucune hésitation ! La leçon? Je sentais l’importance du public «présent» au travers de l’écran. Toutefois, le nombre ne remplace pas la proximité vraie des gens.
Propos recueillis par Bruno Pfeiffer pour son blog » Ça va jazzer » publié sur « Libération »
CD
Laurent Coulondre : Michel on my Mind – Tribute to Michel Petrucciani (New World Production/L’Autre Distribution)
(Cover vinyle Michel on my Mind – Tribute to Michel Petrucciani – Photo Marc Ribes)
CONCERTS
Laurent Coulondre – Dates confirmées de l’été du projet en Trio Michel on my Mind – Tribute to Michel Petrucciani
28 Juillet (21h) – Trio / Jardin des Décades, Roquefort-Les-Pins
29 Juillet (21h) – Trio / Place Lucien Rousset, Castillon
30 Juillet (21h) – Trio / Jardin de la Chapelle du Brusc Châteauneuf-De-Grasse
Les 12 et 13 août (4 concerts), dans le cadre de PIANISSIMO XV AU SUNSIDE (festival du 1er juillet au dimanche 23 août à Paris-Châtelet)
Photos : ©Patrick Martineau – JzzM
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