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Camille Bertault est indéniablement une des voix majeures à être apparue sur la scène jazz hexagonale au cours de la dernière décennie.

Ce qui la caractérise est qu’elle se positionne à la fois comme une vocaliste de jazz classique — bien qu’elle chante quasi essentiellement en Français — et comme une instrumentiste de la voix, utilisant la sienne comme un saxophone ou une trompette.

De ce fait elle peut aussi bien chanter a capella en solo ou en re-recording — en s’accompagnant occasionnellement d’un carillon — que se mêler aux instrumentistes qui l’accompagnent en produisant des scats langoureux ou rythmiquement époustouflants.

Camille laisse par ailleurs une large place aux musiciens qui sont avec elle sur scène, c’est donc non seulement sa voix mais l’intégralité du groupe et les individus qui le composent qui sont mis en valeur, soit dans le cadre d’une interaction — un jouage, dit-on aujourd’hui — dense et touffue, soit dans des solos de premier ordre.

Car Camille ne choisit pas ses comparses dans le bas du panier de la jazzosphère et ces musiciens sont de toute évidence ravis de l’accompagner et de la place qu’elle leur octroie.

Vocaliste au phrasé toujours inventif, tendre ou tonique, musicienne accomplie, rythmicienne hors pair dont le corps, sur scène — quand elle ne chante pas — entre en constants et souples mouvements tandis que ses sidemen jouent, parolière aux textes toujours poétiques, ironiques et intéressants, Camille est une artiste complète et l’on comprend qu’elle se soit vite imposée sur une scène française où elle occupe une position unique.

Majoritairement composé de thèmes de sa plume ou du trompettiste Julien Alour, le répertoire de cette soirée commença par une revisite personnelle et inspirée de « My Favorite Things » avec des paroles originales de Camille.

Puis s’ensuivirent des thèmes variés en hommage — entre autres — au dodo, cet oiseau disparu, ou à son chat.

Camille nous fait ainsi pénétrer, en douceur et sans esbroufe, dans une partie de son intimité, qu’elle dévoile sans exhibitionnisme. Un « univers » (terme que j’emploie rarement tant il est galvaudé), donc, à la fois personnel, profondément original et totalement accessible sans avoir recours aux clichés ou aux ficelles du jazz vocal qui font de ce genre musical le plus populaire du jazz actuel.

Impossible de prévoir comment Camille évoluera dans les années à venir vu le chemin qu’elle a parcouru depuis le post — rapidement devenu viral — qu’elle a publié sur le net voici une douzaine d’années où elle scattait, de façon ahurissante et avec un naturel confondant, sur le « Giant Steps » de Coltrane.

 Car déjà là, la maîtrise vocale de Camille se présentait non comme une fin en soi ou un exploit technique mais au service d’un feeling d’une sincérité évidente.

Camille est donc une artiste dont on suit le parcours avec un intérêt constamment renouvelé et qui peut séduire, à toutes les étapes de son chemin, de parfaits néophytes qui trouveront en elle une musicienne authentique qu’on ne saurait enfermer dans aucune des catégories stylistiques où l’on peut ranger ses consoeurs du jazz vocal hexagonal.

Et le public nombreux de la péniche Le Son de la Terre ne s’y trompe pas, qui lui réserve un accueil enthousiaste. Le second set commence par une version rythmiquement ébouriffante du « Je m’suis fait tout p’tit » de Brassens en duo avec Julien Alour, où la tessiture de Camille est utilisée de façon remarquable en un scat virevoltant allant du quasi murmure au presque cri.

« Ma muse », qui suit avec le groupe entier, est tout simplement un hommage à la musique, qui évolue en ondulations souples et parfaitement convaincantes, ponctuées par un chorus habité de Julien Alour.

Sur l’intégralité du concert la rythmique constituée par le bassiste Sylvain Romano, le pianiste Fady Farah et le batteur Philippe Maniez (tout nouveau dans le combo) apporte au groupe un soutien d’une solidité inébranlable et d’une grande richesse harmonique et rythmique.

Ces musiciens ne sont de toute évidence pas là pour servir de faire-valoir à la chanteuse mais ils ont l’occasion de s’exprimer pleinement en un quartet de premier ordre propulsé, entre autres, par le drumming coloriste et puissant du batteur qui débute « Je suis un arbre » en duo avec les pépiements de Camille suivis par un solo de piano percussif avant de s’élancer dans des évolutions mélodico-rythmiques tout à ait remarquables.

Outre le fait qu’elle peut reprendre Brassens ou Gainsbourg de façon totalement inhabituelle, on pourrait attribuer à Camille le sobriquet de « fou chantant » qui caractérisait Charles Trénet.

Folle, Camille ? Sans aucun doute, mais d’une folie à la fois douce, joyeuse et sage qui se manifesta entre autres dans un morceau de Jean-Sébastien Bach scatté à toute allure en duo avec le pianiste. Après Trénet et Nougaro, Camille est sans doute celle qui a le mieux réussi à faire swinguer la langue française, réputée peu grooveuse. J’ai à de nombreuses reprises déploré le peu d’intérêt des musicien(ne)s de jazz hexagonaux — du moins jusqu’à une époque récente — pour le répertoire de la chanson française. Camille crée à sa façon un répertoire de thèmes chantés en français qui ne demandent qu’à être repris par d’autres musiciens de jazz. « Nouvelle York », l’un des derniers morceaux de cette soirée, peut apparaître ainsi comme une réponse au « Nougayork » du chanteur toulousain et permit à Sylvain Romano de rappeler en un solo magistral qu’il est un des boss de la contrebasse. Et la reprise en rappel du « Foro Brazil » d’Hermeto Pascoal — un autre fou joyeux — en tempo moyen puis ultra-rapide était un final idéal pour ce concert magistral.

Musiciens :

Camille Bertault : voix, compositions and textes
Fady Farah : piano, Rhodes, orgue
Sylvain Romano : contrebasse
Philippe Maniez : percussions
Julien Alour : trompette, bugle

©Photos Jean-François Carreau

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