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Festival International de Jazz de Montréal 2016 – 3 juillet

La touchante combinaison que forme le pianiste norvégien Tord Gustavsen, le batteur Jarle Vespestad et la chanteuse Afgano-allemande Simin Tander atterrît à Montréal, dimanche dernier 3 Juillet, dans le cadre du Festival International de Jazz de Montréal, pour le dernier concert de leur « United States & Canada Tour ». Le trio présentait à la Salle Ludger-Duvernay ses derniers travaux et la nouvelle proposition de Gustavsen, l’album « What Was Said », avec une toute nouvelle direction musicale basée sur des hymnes norvégiens anciens et des poèmes soufis, interprétés d’une manière mystique et douce. Le résultat donne un son innovant, que Tord Gustavsen rattache encore et très profondément à l’enfance et à son passé.

Ses mains s’approchent lentement des touches. Du bout des doigts, il les caresse et le son se matérialise, flottant, par sa douceur se perdant dans l’air. Le cliquetis des caméras est ennuyeux, dérangeant, car le piano sonne, magnifiquement faible, incroyablement intangible. Les sons sont clairs, mais ténus, passionnés et encore délicats.

©Nuria Ribas Costa

©Nuria Ribas Costa

Une aura commence à se construire autour des trois musiciens. La couleur rouge des lumières de la scène contraste avec le vert pur de la robe de Simin Tander. Elle se déplace, louvoyant comme un serpent, en suivant les notes, le rythme, encore à peine identifiables. Et puis Jarle Vespestad s’immisce. Et la conjonction entre le piano et la batterie lentement, progressivement, renforce la tonalité. Le toucher évolue, se transforme en une approche dure, on en train de changer de dimension.

Ça devient épique.

” Ce que vous venez d’entendre, ce sont deux hymnes norvégiens anciens, basés sur des airs folkloriques. Ils ont été traduits en Pachto, et ils ont voyagé avec nous depuis longtemps. “

La combinaison est impressionnante. La salle entière respire, dans un état d’esprit changé maintenant. La création de cette transe est alimentée non seulement par la musique elle-même, mais aussi par les relations entre les musiciens : sourires subtils, regards complices, relais admiratifs de l’un à l’autre d’une manière très apaisée, loin de la chaleur bruyante et très expressive du jazz traditionnel noir.

Le concert se poursuit et chacun des membres du trio jouant, exprime toute sa personnalité. Tord Gustavsen est précis, évocateur, clair et doux. Son approche du piano est ferme, mais prudente. A l’occasion il ajoute de l’électronique. Le pianiste basé à Oslo montre sa haute qualité technique avec modestie, nourrissant la transe, louant ses compagnons de scène et annonçant les morceaux d’une voix presque chuchotée, chargée d’une pureté étrange et un d’amour évident.

Ce jeu est parfaitement soutenu par la percussion de Jarle Vespestad. Étant le seul autre instrument sur scène –à part la voix de Simin Tander qui devrait également être considérée comme un instrument-, la combinaison avec le piano est à la foi fragile, mais forte. Il joue de manière non conventionnelle, en utilisant soigneusement les parties des tambours fixes, de manière à nourrir la difficulté de cette musique. Lorsque Vespestad approche des tambours, toute l’idée de ce qui a été annoncé se concrétise : l’épopée, le mystique, la simplicité transcendantale des airs folkloriques anciens, des poèmes soufis traduits en anglais, des airs traditionnels enracinés dans la foi et l’espérance, des histoires conçues pour explorer le mystère de la beauté, avec des titres comme « Qu’est-ce qui a été dit à la rose pour qu’elle s’ouvre ».

©All Rights Reserved

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Et le devoir de Simin Tander est d’éclairer le chemin. Son rôle en tant que chanteuse, et sa voix peut-être, plus tangible que la batterie ou le piano, devient en fin de compte le phare. Elle utilise ses cordes vocales, comme Vespestad ses tambours, d’une manière unique. Sa voix n’est pas le prototype des belles voix ; cependant, c’est la façon dont elle l’utilise qui la rend irrésistible : elle murmure, produit des sons gutturaux, des chuchotements, des sifflements, des cris, respire fortement Et tout cela pendant qu’elle bouge les bras, les jambes, les mains. Elle s’immisce complètement à l’intérieur de la musique, une sensation de toutes les parties du corps, et non seulement de celle qui produit le son. Et puis, en fin de compte, elle devient puissante, car très expressive. Elle peut s’approcher du micro, comme si elle allait faire l’amour, ou comme si elle allait pleurer, ou encore, comme si elle allait récriminer.

Après huit morceaux, le trio termine le concert, et le public debout les ovationne, leur dit chaleureusement, au revoir. Ils abandonnent la scène lentement, après une révérence à l’auditoire.

Mais ils reviennent.

Ils jouent, ils sourient, et encore nourrissent la transe.

Ils disent à nouveau au revoir.

Mais ils reviennent.

La Salle Ludger-Duvernay ne peut simplement pas s’arrêter d’applaudir.

Jeu, sourire, départ.

Applaudissments. Cris. Sifflets.

Tord Gustavsen et Simin Tander sont de retour. Une fois de plus. Ils jouent. Avec ce toucher doux, cette approche claire, à la pureté transparente. Non traditionnel, non conventionnel. Loin du jazz des bars ou des caveaux enfumés du Village du vieux New York.

Un jazz interne. Une musique mystique. Un état d’esprit compliqué.

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